La chorégraphe et danseuse sénégalaise, Germaine Acogny, a entamé une tournée internationale. A Avignon, la lauréate du Prix d’excellence de la Cedeao a partagé la scène avec Salia Sanou, la romancière, Nancy Huston, et le chanteur BabX. Un joli voyage sur le thème des racines et de l’exil.

Cette cour minérale de l’université d’Avignon ressemble à une cour d’honneur du Palais des papes en réduction. Un haut mur de pierres (plus modeste évidemment). Des points de fuite de chaque côté de la scène, où les regards peuvent s’échapper. Dans ce lieu d’habitude peu exploité du festival règne un calme tranquille. Et Salia Sanou, chorégraphe-danseur burkinabè, y a installé un cercle tournant et deux portiques de lumières pour mettre en relief sa «cérémonie». On entendait parler de ce spectacle depuis longtemps, construit par phase, au fil d’un, de deux, puis de trois mouvements comme autant de rencontres de l’artiste avec des personnes choisies. Et le voilà qui trouve au Festival d’Avignon (après les Francophonies en Limousin, à l’automne dernier) la plus accomplie des finales.
Elle apparaît la première sur scène. Lente et hiératique. Une reine. Germaine Acogny, danseuse, chorégraphe pionnière sans qui la danse contemporaine en Afrique aurait sans doute eu un autre destin. En l’invitant sur scène, Salia Sanou convie non seulement son ancienne pédagogue, mais aussi son guide, une déesse de la sagesse. Elle est sculpturale. Tête et pieds nus, en vareuse orange, elle n’a guère besoin d’avancer beaucoup pour danser. L’intensité du geste est intérieure. Et même quand elle offre à «Salia», ses «petites danses», béninoise ou sénégalaise, pour mieux mesurer l’écart entre danse africaine et danse académique occidentale, puis tout fondre à la fin dans sa propre écriture, elle n’a guère besoin de grandes démonstrations.
Salia Sanou s’est glissé sur scène et partage avec elle, les stupéfiants mouvements d’épaules vers l’arrière, accomplis par petites secousses. Ou des jeux de doigts pointés en rythme sur des contrepoints empruntés à Bach. Sur des rythmes de percussions, lui s’élance seul aussi dans une danse sautée, martelée. Puis les voilà à nouveau face à face, serrés au cœur du cercle qui tourne. A 72 ans, la grande dame qui danse désormais avec sa troisième jambe (sa canne de marcheuse) offre à son ancien élève, devenu à son tour créateur d’un lieu à Ouagadougou, un message essentiel : courir le monde en quête d’autres influences ? Oui ! Mais en restant «enraciné». Ils finiront presque scellés tous les deux, après une phénoménale danse de la tête.

Le hasard de naître ici ou là
Un souffle passe. Une autre âme se glisse sur scène, à l’opposé de la première. Tunique et pantalon blancs, cheveux longs, peau pâle, la romancière d’origine canadienne Nancy Huston a répondu, elle aussi, à l’appel de Salia Sanou. Il voulait l’entendre parler de l’exil. De celui de la langue, puisque celle-ci voyage depuis plus de quarante ans, dans sa vie comme dans ses livres, entre deux langues, le français et l’anglais. Née ailleurs, dans le grand nord canadien, loin de la France où elle vit aujourd’hui. Elle disperse lentement ses feuillets, remplis de mots à rattraper par on ne sait qui, s’interroge sur le hasard de naître ici ou là, s’avoue enfin «coupée en deux».
Le chorégraphe, lui, entre comme un échassier sûr de son envol. Et répond aux pas légers, aux gestes simples et carrés de l’Occidentale, avec un mouvement ample et sinueux. Il invoque la permanence de la nature plutôt que la fragilité des destins humains. Mais ils partagent la danse. Une marche face à face l’un vers l’autre. Ils se rejoignent sur des souvenirs de tambours indiens dérivant peu à peu vers le jazz.
Le dernier complice invité était déjà présent sur scène par sa musique. Le voilà maintenant au piano. David Babin, alias BabX -chevelure moussue et costume noir-, chante, dans l’ombre, de très belles odes à l’amour. Il égrène les phrases avec une délicate gravité, dont le leitmotiv («le Soleil se lève à l’Est alors qu’à l’Ouest, tout est endormi») est hélas un message géopolitique un peu banal.
Fin de la chanson. Salia Sanou le danseur vient asticoter le musicien. Il lui pique son tabouret, s’y serre avec lui pour une séance d’«air piano» à quatre mains, rigolote. Ce sont deux compères en facéties qui s’éloignent du ton mélancolique des deux premières aventures. La boucle est bouclée par le plaisir du jeu. L’air de rien, nous avons tous voyagé avec eux de la sagesse à la joie. Un spectacle simple comme une traversée… sous une brise apaisante.
Avec Télérama