Depuis la défaite de Macky Sall à Ziguinchor à la dernière Présidentielle, Benoît Sambou n’avait pas parlé. Le responsable de l’Apr ne cache pas sa déception et l’explique moins par le «phénomène» Ousmane Sonko que par le vote des «primo-votants» qui sont au chômage. Le président de la Commission nationale du dialogue des territoires salue la nomination de Aminata Assome Diatta qui, selon lui, ne peut être une sanction contre les Apéristes.

Que vous inspire le nouveau gouvernement ?
La mise en œuvre d’un gouvernement répond à un certain nombre de principes. D’abord, le président de la République a été élu par les Sénégalais qui lui ont renouvelé leur confiance. Donc, c’est la Constitution qui lui confère le pouvoir de choisir des hommes et des femmes qu’il juge aptes à remplir les missions qui leur sont confiées. Il faut reconnaître qu’il y a eu des innovations importantes comme la réduction de la taille du gouvernement, mais également une entrée beaucoup plus importante des femmes, avec plus de 20%. Mais surtout le chef de l’Etat a tenu à ce que toutes les composantes de la Nation soient représentées au nom de l’équité territoriale parce qu’il faut que nous soyons à l’écoute des différentes sensibilités. Même si les ministres sont au service de la République, c’est important qu’il y ait la promotion de fils de chaque terroir. Et par conséquent, c’est un bon dosage.
En parlant justement de «fils de terroir», la région de Ziguinchor en a un, en l’occurrence Aminata Assome Diatta. C’est un bon choix ?
Ecoutez, nous n’avons pas à apprécier les choix du président de la République. Toujours est-il que nous nous réjouissons du choix porté sur notre camarade Aminata Assome Diatta. C’est un haut cadre de l’Administration et, sous ce rapport, elle est assez bien outillée pour remplir la mission que le président de la République lui a confiée. Mais surtout qu’elle puisse représenter de manière appréciable la région de Ziguinchor. Je rappelle encore qu’un ministre est au service de l’ensemble des populations du Sénégal. Nous lui souhaitons plein succès.
C’est aussi un choix politique pour renforcer l’Apr, Benno bokk yaakaar de façon générale, qui a perdu toute la région de Ziguin­chor lors de la Prési­dentielle…
D’abord, un gouvernement est éminemment politique. Maintenant, c’est une militante de l’Apr, même si elle a souhaité mettre en place un mouvement d’envergure nationale. Mais c’est toujours pour être un relais des actions du président de la République dans la région et sur toute l’étendue du territoire. Bien sûr, nous attendons, dans l’exercice de ses fonctions, qu’elle puisse faire en sorte que la vision du Président soit mieux comprise et adoptée par sa région d’origine. Il est vrai que nous avons été déçus par les résultats de la dernière Présidentielle à Ziguinchor. Mais il faut en tirer les conséquences en ayant une lecture lucide de ce qui s’est passé.
Est-ce que, justement, en ayant choisi Aminata Assome Diatta, le Président n’a pas déjà tiré les conséquences ?
Je ne peux pas répondre à ce genre de questions parce que c’est la prérogative constitutionnelle du président de la République de nommer aux fonctions civiles et militaires. C’est donc, compte tenu des objectifs qu’il veut atteindre, qu’il choisit les hommes et les femmes qui l’accompagnent. Ce n’est pas forcément parce que quelqu’un n’est plus membre du gouvernement qu’il a été sanctionné ou qu’il a démérité. Dans ce pays, on a une mauvaise compréhension de la fonction ministérielle qui est temporelle.
Alors, comment analysez-vous les résultats de Bby dans la région de Ziguin­chor, puisqu’elle a quand même perdu tous les départements ?
Encore une fois, cela a été une grosse déception, une surprise par rapport aux attentes et aux espérances que nous avions. Nous considérons quand même que le président de la République s’est beaucoup investi et a beaucoup investi dans cette région. Il a totalement désenclavé la région, par voie maritime et fluviale, et a mis en place des projets de développement. C’est valable pour les questions sociales. Et nous pensions que cela se traduirait par un vote positif comme cela s’est fait sur l’étendue du territoire. C’est à ce niveau que nous sommes très déçus, même s’il y a eu une progression de voix par rapport aux élections législatives.
Alors qu’est-ce qui explique cette défaite ?
Parmi les raisons, il y a la question des primo-votants qui n’ont pas suivi la mouvance nationale. Et à ce niveau, j’ai quand même souvent alerté sur les difficultés de la jeunesse de Ziguinchor. Entre les Législatives et la Présidentielle, c’est plus de 22 mille nouveaux jeunes qui ont participé à l’élection. Et ma conviction est que le vote des primo-votants n’a pas été favorable à la coalition Benno bokk yaakaar. C’est surtout une jeunesse touchée par un chômage endémique. C’est pourquoi nous devons faire des efforts pour apporter des réponses immédiates à leurs attentes. Ce sont des jeunes qui, sur le plan de l’emploi, ne voient pas beaucoup de perspectives. Même si nous nous sommes évertués à leur dire que l’emploi ne se décrète pas et que c’est un tout un programme d’investissement avec des usines et des entreprises, du tourisme, pour offrir suffisamment d’emplois aux jeunes. Surtout pour une région qui sort de 35 ans de crise.
Donc, selon vous, cette défaite de Bby est plus du fait du manque d’emploi des jeunes que d’une certaine affection pour Ousmane Sonko ?
Absolument ! C’est plus du fait que les jeunes ne sentent pas encore les effets des politiques menées. Et souvent, ils veulent des réponses immédiates à leurs besoins quotidiens.
A vous suivre, Sonko n’a fait que profiter d’une situation délicate de ces jeunes. Pourtant, d’autres pensent qu’il a aussi profité d’un vote régionaliste…
Je n’ai pas l’habitude de parler de Ousmane Sonko. Je considère que c’est un acteur politique comme tous les autres. Je réfute la thèse du vote ethnique, régionaliste, identitaire de façon générale. Il (Sonko) a recueilli beaucoup plus de voix à Dakar qu’à Ziguinchor où il était à plus de 41 mille voix. D’ailleurs, aux Législatives de 2017, il n’avait que 1 550 voix. Donc, à tous ceux qui théorisent ce vote identitaire, je rappelle que son appartenance à la région ne date pas d’aujourd’hui.
Il a quand même près de la moitié à Ziguinchor et à Bignona, même si à Oussouye c’était plus serré avec Macky Sall…
Je reviens encore au vote des primo-votants qui a été déterminant. N’oubliez pas qu’ils représentent plus de 60% du fichier. Et avec le taux de participation élevé, on peut comprendre qu’il puisse recueillir autant de voix, surtout que son discours s’adresse plus à la jeunesse qu’à d’autres cibles. Mais avec le recul, les gens vont se rendre compte que c’est plus du populisme qu’autre chose.
Qu’entendez-vous faire pour inverser cette tendance aux Locales, parce qu’il y a un risque pour Bby de perdre ces collectivités de Ziguinchor ?
Vous savez, chaque élection a ses réalités. Je donne l’exemple de 2012 et de 2014. En 2012, nous avions remporté la Présidentielle, puis les Législatives à Ziguinchor. Mais aux Locales, nous avions été battus. Donc, pour les prochaines Locales, il s’agira de réunir les forces vives des différentes communes autour d’un projet attractif. Mais surtout de faire en sorte que les populations comprennent que la région de Ziguinchor ne peut pas rester dans l’opposition.
Pourquoi la Casamance ne resterait pas dans l’opposition ?
Parce que ce ne serait pas favorable à la mise en œuvre des attentes des populations. Le pouvoir local a besoin de s’appuyer sur une majorité des populations pour mieux mettre en œuvre des compétences qui leur sont transférées. J’ose espérer que pour les prochaines élections locales, les populations de la Casamance vont adhérer à nos programmes.
Etes-vous pour le maintien de cette date du 1er décembre ou pour un report ?
Dans le principe, nous nous battons tous pour que le calendrier électoral soit respecté. Le ministre de l’Intérieur a déclaré la semaine dernière que les Locales se tiendront le 1er décembre. Maintenant, le président de la République a appelé à un dialogue politique pour faire l’évaluation de l’élection présidentielle et voir les améliorations à apporter à notre système démocratique. Bientôt, le ministre de l’Intérieur va convoquer la classe politique dans ce sens. Il y a eu beaucoup de débats sur le parrainage, sur la caution ou encore le statut du chef de l’opposition. Donc, toutes ces questions peuvent être déterminantes dans la décision de reporter ou de maintenir la date des Locales. A ce niveau-là, c’est le consensus qui est recherché. Je puis vous dire que l’Alliance de la République et la coalition Bby s’organisent pour aller aux élections le 1er décembre 2019.
Quel est votre avis sur l’élection du maire au suffrage direct ?
Je ne veux anticiper sur le débat qui, sûrement, fera partie du dialogue. Dans notre coalition et notre parti, des voix s’élèvent, mais rien n’a été arrêté. C’est vrai qu’il serait plus juste d’élire le maire au suffrage universel direct pour éviter certaines combinaisons ou trahisons qui font que les populations peuvent se retrouver avec un choix qui n’est pas forcément le leur. Donc, le débat est là, il faut l’appréhender de manière courageuse, mais lucide.
Est-ce qu’on ne risque pas de se retrouver dans le même scénario où seule une partie de l’opposition va participer à ce dialogue ?
Comme le disait le Président Léopold Sédar Senghor : «Le Sénégal est une vieille tradition de dialogue.» C’est cette tradition qui nous a permis d’éviter de tomber dans certaines crises que d’autres pays de la sous-région ou de la région ont pu connaître. Depuis son accession à la tête du Sénégal, le Président Macky Sall s’est inscrit dans une certaine dynamique de construire le Sénégal avec tous ses fils et tous ses démembrements. Il a lancé un appel à un dialogue national qui va traiter des questions politiques pour aboutir à un large consensus entre les différents acteurs. Il s’agit de faire en sorte que, sur le plan social, économique et autres, nous puissions recueillir les préoccupations des différentes couches de la population, mais aussi sur les questions d’intérêt national, la sécurité ou la paix, permettre à chacun, dans une démarche inclusive, de pouvoir apporter sa contribution. C’est un élément important de la consolidation de la Nation. Donc, les partis politiques, y compris ceux de l’opposition, sont des éléments constitutifs de ce dialogue. Lors de la revue du dernier Code électoral, une partie de l’opposition avait choisi de boycotter les concertations. Ce que nous avions d’ailleurs dénoncé, parce que c’était contraire à cette tradition de construire un large consensus autour du Code. Cela n’enlève en rien le mérite et l’apport considérables que ceux qui ont choisi d’y être ont pu apporter et qui ont été pris en compte par le président de la République dans les différents arbitrages qui lui avaient été soumis.
Les dernières sorties de l’opposition montrent malheureusement qu’elle n’a pas bien retenu les leçons de leur politique de la chaise vide qui leur a été préjudiciable. Que quand des franges de la Nation se réunissent, on doit y participer pour donner son opinion pour que nul n’en ignore. Et il faut dire d’ailleurs que cette stratégie de la négation et du nihilisme a été sanctionnée par une réponse cinglante des Sénégalais le 24 février.
Aujourd’hui, les 4 candidats malheureux disent que cette suppression du poste de Pm devait être au menu du dialogue…
C’est de la prétention. Le président de la République a été plébiscité par les Sénégalais qui sont massivement sortis avec un taux de participation de plus de 66% et une réélection avec 58,26%. Les Sénégalais ont choisi Macky Sall qui, pour la mise en œuvre de sa vision et de ses promesses, a considéré que pour ce second mandat, il veut aller plus vite et prendre en main les choses directement. Après sept ans d’exercice du pouvoir, et pour avoir été ministre et Premier ministre, s’il estime que ses ambitions nécessitent la suppression du poste de Premier ministre, ce qui n’est pas nouveau d’ailleurs, ce n’est pas à l’opposition d’en juger.
Concédez quand même qu’elle peut avoir son point de vue…
Oui, elle peut avoir son point de vue, mais c’est le président de la République qui est appelé à prendre des mesures pour faciliter la réalisation de ses engagements. Je ne vois pas pourquoi cela devait être un débat national. C’est sa responsabilité régalienne.
C’est la Constitution qui a été touchée et cela doit faire justement l’objet de débat, non ?
Ecoutez, il n’y a rien de nouveau. Nous avons connu la même chose avec Diouf et Senghor. Et ce n’est pas une remise en question fondamentale de notre système démocratique ou constitutionnel étant donné qu’il s’agit simplement d’enlever les termes «Premier ministre…». Le régime sénégalais est présidentialiste où c’est le président de la République qui définit et conduit la politique de la Nation. L’existence du poste de Premier ministre ne fait du régime un régime parlementaire. Et d’ailleurs, cette réforme va rééquilibrer davantage les pouvoirs puisque le Président ne peut plus dissoudre l’Assemblé nationale, et celle-ci ne peut plus faire tomber le gouvernement.
Certains soupçonnent que le Président craint une éventuelle cohabitation aux prochaines Législatives…
Qu’elle cohabitation ? Vous savez, il y a beaucoup de spéculations. La réalité des faits est que Macky Sall gagne toujours toutes les élections auxquelles il a participé. Depuis 2009 déjà, en tant que maire de Fatick, n’oubliez pas qu’il avait fait réélire Wade en 2007 au premier tour et lui avait donné la majorité aux Légis­latives de la même année. C’est un véritable phénomène politique. Alors, pourquoi voudrions nous spéculer sur d’éventuelles défaites ? Il sait qu’il a la confiance de son Peuple qui lui renouvelle sa confiance à chaque élection.
Alors, Salif Sadio menace de reprendre les armes si les choses n’évoluent pas. Qu’en pensez-vous ?
Le président de la République Macky Sall, en arrivant au pouvoir en 2012, a fait un choix courageux, celui d’un changement de paradigme dans la gestion du conflit casamançais. Pendant très longtemps, le discours était de construire la paix ou en tout cas d’arriver à des accords de paix pour favoriser le développement. Il a initié un certain nombre d’actions, notamment dans la réalisation d’infrastructures pour le désenclavement de la région. Mais aussi en mettant en place des programmes sociaux et de développement pour faire en sorte que la Casamance se sente sénégalaise à part entière. Les turpitudes de l’histoire ont fait que les populations du Sud, en voulant se rendre dans la partie nord du pays, étaient souvent obligées de traverser un territoire étranger. Et cela a pu constituer une forme de frein à l’identification de la Casamance dans le Sénégal. En mettant en œuvre ces différents projets, le président de la République a totalement brisé cette chaîne qui fait que les Casamançais se sont sentis beaucoup plus ancrés dans le Sénégal. Il faut dire que les populations casamançaises aspirent au bien-être et n’ont pas envie de revivre les années sombres du conflit casamançais. De ce point de vue, il y a une forme d’appropriation par les populations du processus de paix. Aujourd’hui, nous encourageons le président de la République à maintenir le cap des réalisations, le choix de faire de la région naturelle de la Casamance une priorité. Quand nous avons une plaie qui risque de gangréner tout le corps, il faut se donner les moyens de la soigner. Et en cela, le conflit casamançais a été une plaie pour le Sénégal. Maintenant, les déclarations de Salif Sadio ne sont pas nouvelles. Il a toujours tenu ce discours. Mais je voudrais lancer un appel à tous les chefs du maquis pour dire qu’il est important de profiter de cette opportunité extraordinaire qui leur est offerte d’entrer dans l’histoire en ayant le courage de construire la paix. Nelson Mandela est entré dans la postérité parce qu’il a eu le courage de construire la paix. L’acte d’héroïsme aujourd’hui repose dans les capacités qu’ont les hommes de construire l’amour et la paix. C’est le grand défi dans un contexte mondial marqué par une résurgence de la violence.
N’est-ce pas un paradoxe quand on parle d’accalmie et que Salif Sadio se réveille un beau jour pour menacer ?
Entre l’accalmie et la déclaration de Salif Sadio, il n’y a pas de comparaison possible. L’accalmie a été imposée par les actions combinées du président de la République et l’appréhension positive que les populations se sont faites de la démarche qui consistait à entrevoir un espoir nouveau, à faire ressentir les effets d’un certain bien-être pour les populations qui, elles-mêmes, s’approprient la volonté et la nécessité de vivre dans la paix. Nous avons la chance d’avoir une Casamance qui est un microcosme cosmopolite qui fait que toutes les cultures, les langues, les religions cohabitent en parfaite harmonie. Et les populations n’ont plus envie de rompre ce bel exemple qui peut servir de modèle au Sénégal et à l’Afrique. Salif Sadio est un acteur du conflit. Il a une position personnelle, mais qui ne remet pas en question la volonté inébranlable et irréversible des populations à vivre dans la paix et à construire leur bonheur. Et en cela, nous devons intensifier les actions de construction ou de relance de l’économie en Casamance.
Il a quand même critiqué Robert Sagna. Comment le voyez-vous ?
Je n’ai pas d’appréciation particulière à faire sur la passe d’armes entre Salif Sadio et Robert Sagna qui se connaissent assez bien. Il faut vraiment comprendre que les intérêts de la Casamance passent par un débat serein, respectueux, mais surtout par la forte volonté des populations de vivre dans la paix et d’aller dans le sens de l’émergence souhaitée par le président de la République.