La réunion du Conseil des ministres du mercredi 29 mai 2019, présidée par le Président Macky Sall, a remis au goût du jour le débat sur la place des agences d’exécution dans la conduite des missions de service public. La question a surtout été abordée sous l’angle de la gouvernance normative des agences d’exécution et autres entités assimilées.
Le président de la République a donné des instructions au gouvernement pour engager une réflexion sur le processus de révision globale de leur cadre juridique, en insistant sur un encadrement restrictif en phase avec les obligations de résultats et de préservation des ressources publiques1. Et il projette d’organiser un conseil stratégique de pilotage, de concert avec des acteurs concernés.
Cette initiative entre en droite ligne avec la promesse du candidat Macky Sall, à la fois de 2012 comme de 2019, de réduire le train de vie de l’Etat, d’améliorer les modes de gestion de nos deniers publics en vue de les hisser au niveau des standards internationaux.
Dès son installation, il a pris le décret n° 2012-1314 du 16 novembre 2012, fixant les plafonds des salaires des dirigeants des agences et autres structures assimilées. Ce décret a ensuite été modifié en son article 4, pour en corriger certaines incohérences, par le décret n° 2014-1186 du 17 septembre 2014.
Quelques mois après, Le Président Sall a pris une autre décision, allant dans le même sens, par le décret n° 2014-25 du 9 janvier 2014 portant dissolution d’agences d’exécution. Il a dissout quatre (4) agences d’exécution dont trois s’activaient dans l’emploi des jeunes (Ajeb, l’Anama, Anej, Fnpj).
Cette décision est triplement marquante. D’abord, elle indique une volonté résolue du candidat devenu Président de tenir une promesse électorale et ainsi d’apporter «un coup de balai» à un secteur très critiqué avant son accession au pouvoir.
Ensuite, elle crée un précédent qui n’a d’égal dans l’histoire du Sénégal que la décision du Président Diouf de radier tout un corps de l’Administration, en l’occurrence la police. Par cette décision, le Président Sall envoya au chômage près de trois cent (300) pères de famille, dont la plupart le sont encore.
Enfin, cette décision a mis à nu une précipitation «presque coupable» des autorités chargées de préparer la décision du chef de l’Etat. En effet, à l’article 4 du décret n° 2014-25 du 9 janvier 2014, il y a eu une erreur, inexplicable à ce niveau, sur le décret portant création et fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de l’ex-Asma, devenue Anama en 2012.
Ces agences, cinq ans après leur dissolution, sont encore en liquidation, à l’exception notoire de l’ex-Anama.
Il faut rappeler que les agences d’exécution sont nées d’une volonté des gouvernants d’améliorer les performances de l’Administration. Cette volonté s’est traduite par une externalisation de certaines missions au profit de structures plus légères, appelées tantôt «agence», «délégation», «fonds», «office» etc.
Pour l’Etat, dans sa quête de solutions aux préoccupations des populations, il s’agissait de s’aligner à l’exigence accrue des citoyens en termes de célérité et d’efficacité2, parce que l’organisation classique a montré des limites incontestables.
Selon Allen Schick : «Aussi différentes que puissent être ces motivations de création des agences, tous attestent que le modèle traditionnel centré sur les ministères ne correspond plus aux besoins organisationnels de l’Administration.»
Sans aucun doute, ces structures ont apporté un plus à l’action publique, à plusieurs niveaux et dans presque tous les secteurs d’activités. Cependant, certaines erreurs et des abus n’ont pas manqué d’être relevés par différents rapports des corps de contrôle de l’Etat.
Avant d’aller plus loin, il convient d’analyser le cadre légal et réglementaire actuel d’évolution des agences d’exécution (I) avant de proposer une analyse (discutable certes) de quelques questions soulevées çà et là (II).

Le cadre légal et règlementaire des agences d’exécution
Un cadre légal (A) et réglementaire (B) a longtemps fait défaut à l’action des agences d’exécution. Cette absence a conduit à des dysfonctionnements préjudiciables à l’Administration3.

Le cadre légal des agences d’exécution
La loi n° 2009-20 du 4 mai 2009 fait figure, aujourd’hui, de cadre légal de référence des agences d’exécution.
Cette loi vise à harmoniser et à encadrer les procédures de création, ainsi que les règles d’organisation et de fonctionnement des agences au Sénégal.
Le législateur marque par cette loi une volonté ferme d’organiser le secteur et d’encadrer le processus de création d’agences.
En effet, d’un nombre réduit jusque dans les années 90 (autour de deux ou trois), le nombre d’agences a fortement augmenté au cours des années 2000. Aujourd’hui, notre pays compte plus de soixante-quinze agences et structures assimilées.
Cette augmentation exponentielle, presqu’incontrôlée, a induit des chevauchements parfois entre les missions confiées à certaines agences et celles incombant à l’Administration centrale.
Cette loi a introduit beaucoup de dispositions très importantes pour améliorer la gestion et la performance des agences. On peut citer celles instituant un contrat de performance (article 5), ou encore celle relative aux modalités de gestion et d’administration (article 6) ou encore celle relative à la création par décret d’une commission d’évaluation des agences existantes au regard des objectifs initialement fixés (article 15).
Ces mesures nouvelles ont été d’application timide ou, le plus souvent, ne l’ont pas du tout été, malgré la prise d’un décret d’application exactement un mois après la promulgation de cette loi.

Le cadre réglementaire des agences d’exécution
Le décret n° 2009-522 du 4 juin 2009 est pris, exactement un mois après la promulgation de la loi d’orientation sur les agences. Il fixe surtout les règles d’organisation et de fonctionnement des agences d’exécution4.
Ce décret indique que les agences sont des personnes morales de droit public dotées de l’autonomie financière et précise les attributions des organes exécutifs et délibérants. Une disposition particulière est introduite sur la nécessité, pour les agences, de signer un contrat de performance (article 16).
Cette volonté d’encadrer et d’améliorer la gouvernance des agences est confirmée par la publication du décret n° 2011-540 du 26 avril 2011 relatif au régime financier et comptable des agences d’exécution.
Et pour mieux encadrer, entre autres, les pouvoirs de recrutement des responsables des organes exécutifs, de façon générale les décisions de toutes natures de l’organe exécutif, ayant pour but ou pour effet la création ou la modification de rubriques budgétaires liées à des dépenses de personnel, ont été rigoureusement réglementées par le décret n°2014-472 du 12 novembre 2014 abrogeant et remplaçant le décret de 2011.
Il introduit ainsi un nouveau régime financier au niveau des agences et autres structures assimilées. Ce décret introduit également une procédure nouvelle d’approbation des budgets de ces structures.
En dépit d’un cadre réglementaire relativement bien structuré, certains problèmes restent agités ou n’ont pas encore trouvé de réponses adéquates.

Les questions toujours agitées
Malgré la publication des textes régissant globalement le cadre de gestion des agences, beaucoup de questions restent agitées aujourd’hui. Nous avons choisi d’évoquer, peut-être arbitrairement, la question des moyens et son corollaire, la performance des agences (A) et les grilles de rémunération (B).

Les moyens et la performance des agences
Les ressources des agences d’exécution proviennent, à l’exception notoire d’une ou de deux agences, presque exclusivement des subventions et concours de l’Etat (article 10 de la loi d’orientation). Ces subventions et concours sont inscrits au budget du ministère de tutelle sous forme de dépenses de transfert : transferts courants pour le fonctionnement et transferts en capital pour les investissements.
Les opérations financières et comptables sont effectuées par un agent comptable nommé par arrêté du ministre chargé des Finances sur proposition du directeur général de la Comptabilité publique et du trésor. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’agent comptable est généralement un fonctionnaire du Trésor (inspecteur ou contrôleur) ou un agent non-fonctionnaire en service à la direction générale du Trésor.
Ces moyens, en dépit des nombreuses critiques, ont objectivement rarement été suffisants ou presque jamais été suffisants. C’est pourquoi les performances, dans beaucoup de cas, sont restées mitigées.
De plus, certaines agences ont signé des contrats de performance qui n’ont jamais été évalués.
L’Administration a introduit «une formalité impossible», car elle a mis en avant la question pécuniaire. En effet, l’article 8 du décret 2012-1314 du 16 novembre 2012, modifié, a prévu le paiement d’une prime de rendement aux personnels des agences d’exécution en fonction de la réalisation des performances assignées à l’agence.
Cette question pécuniaire touche également le débat sur les grilles de rémunération des agences.

Les grilles de rémunération
Le décret n°2012-1314, modifié à son article 4 par le décret n°2014-1186 du 17 septembre 2014 a tenté d’y apporter une solution, en s’occupant principalement des salaires des dirigeants. La question n’est donc pas épuisée, malgré une tentative de classification des agences en annexe 2 dudit décret.
La création des agences est, en partie, guidée par une logique de résultats. Il faut pour l’autorité mettre en place des structures souples qui agissent vite et bien, parce que les procédures classiques de l’Administration ont montré des limités objectives, malgré l’important programme de modernisation conduit au cours des années 90, sous Maguette Diouf. L’échec de ce programme amène les pouvoirs publics, plusieurs années après, à concevoir un autre programme de modernisation de l’Admi­nistration : le Pama.
La plupart des travailleurs des agences et autres structures assimilées relèvent du Code du travail auxquels s’ajoutent des fonctionnaires en détachement ou en disponibilité et des agents non fonctionnaires en suspension d’engagement (article 17 du décret 2009-522 du 4 juin 2009).
Il s’agissait aussi pour l’autorité, à travers ces structures, d’attirer vers l’action publique des compétences du secteur privé ou de maintenir dans l’Adminis-tration des compétences attirées par le privé. Il fallait donc mettre en place un système de rémunération attractif.
L’article 18 du décret d’application de la loi d’orientation sur les agences renvoie à un arrêté du ministre chargé des Finances fixant les maxima de rémunération des personnels des agences.
L’arrêté n° 03954/ Mefp du 14 mars 2016 avait été pris en ce sens. Mais les nombreuses incohérences et les vives polémiques qu’il a soulevées ont convaincu l’autorité à le rapporter quinze jours après sa publication par l’arrêté n° 4952 Mefp/Dgcpt/Dsp du 30 mars 2016.
La réflexion demandée par Monsieur le président de la République devrait, à notre avis, éviter toute précipitation coupable et/ou toute tentative revancharde, propices à certaines erreurs susceptibles de produire les effets contraires de la commande du chef de l’Etat.
Il nous semble important d’adopter une démarche prudente et inclusive pouvant aboutir à une certaine harmonisation cohérente et soutenable par les ressources publiques et en travaillant aussi sur les différents organigrammes par niveau de classification des agences.
Il ne manque pas d’intérêt, également, de tenter de réfléchir sur la viabilité financière de certaines agences en leur permettant, dans le processus de changement de statuts, d’avoir des ressources propres.
Les pistes de solutions existent, certaines structures sont d’ailleurs assez avancées dans la réflexion.
Amadou Ousmane MBAYE
joulaabe@gmail.com
1 Communiqué du Conseil des ministres du 29 mai 2019
2 Exposé des motifs de la loi 2009-20 du 04 mai 2009
3 Exposé des motifs de la loi 2009-20 du 04 mai 2009
4 Rapport de présentation du décret 2009-522 du 04 juin 2009