Dans son nouveau roman, notre collaborateur Fouad Laroui met en scène une femme rebelle de cette tristement célèbre commune de Bruxelles. Et l’absurde vire soudain au tragique.

Fouad Laroui s’avance nu. Au sens figuré, bien entendu. L’écrivain et journaliste marocain, collaborateur de Jeune Afrique, dont il signe régulièrement le «Post-scriptum», ne rechigne jamais à prendre position sur des sujets de société controversés, la plupart du temps avec beaucoup d’humour. Sans doute faut-il y voir une certaine pudeur mâtinée d’optimisme et de foi en l’espèce humaine. Ses romans sont souvent de cette même facture qui les rend à la fois graves et légers, faussement candides et profonds. L’Insou­mise de la porte de Flandre, qui vient de paraître, ne déroge pas à la règle, mais la violence et le sang répandu recouvrent d’un voile inquiétant le monde un peu absurde que l’auteur de Méfiez-vous des parachutistes a pour coutume de nous présenter. «Les événements des dernières années, et en particulier les massacres de Paris, dans mon quartier, et de Nice, m’ont bouleversé, confie-t-il. Difficile de rester dans l’humour ou l’ironie quand on est confronté à cette horreur…»
Ce roman, c’est l’histoire de la belle Fatima qui, nue sous son hidjab et sa djellaba, quitte cha­que jour le quartier de Mo­len­beek pour s’en aller rejoindre le sex-shop de la rue de Malines, où elle officie comme strip-teaseuse, sous le nom de Dany, pour le compte d’un certain Johnny. «J’ai fait une résidence d’écrivain à Bruxelles il y a quelques années, raconte Laroui. J’allais souvent à Molenbeek, où je voyais beaucoup de jeunes femmes voilées ou carrément en niqab. Et je me disais : ‘’Et s’il y avait là-dessous une femme intelligente, fine, cultivée ? Comment vivrait-elle ? Pourrait-elle accepter la domination d’hom­mes frustes, bornés, incultes ?’’ C’est ainsi qu’est né le personnage de Fatima.»
Après avoir quitté Molenbeek, Fatima se transforme, passant d’un monde à l’autre en pulvérisant le carcan que la gent masculine lui impose. «Même Johnny ne connaît pas mon vrai nom. Il me paie cash, Johnny, c’est à peine si sa main me frôle quand il me tend l’argent… N’ayant pas de nom, je ne suis qu’un corps. Et je ne suis même pas ce corps. Anonyme, je m’enivre de liberté, je rêve d’errer nue dans les rues, transpercée de regards comme autant de flèches, jouissant comme saint Sébastien de ce qui me déchire les chairs. Y a-t-il liberté plus grande ?», écrit Laroui, explorant la pensée insoumise de son héroïne.

La métamorphose de Fatima
Entre le Molenbeek, nid de terroristes où la vie d’une femme est régie par le regard des hommes, et la Belgique libérale, où le regard des hommes colle aux apparences et impose ses fantasmes, Fatima dit non à sa manière. «Sa vengeance commençait là : promener le vêtement dont tant d’hommes, dans le monde entier, rêvaient de recouvrir les femmes, le promener et l’exhiber, puis cracher dessus, en quelque sorte, le souiller, en l’abandonnant chez Emma, dans cette nymphose qui se répétait chaque jour, puis le souillant encore plus en offrant son corps – mais qui n’était pas à elle – à d’anonymes voyeurs. Voilà ce que j’en fais, de votre chiffon… Elle les regarde crânement. Adieu, hommes verticaux, hommes obtus, qui causez inlassablement, ne vous arrêtant que pour jauger, mater, reluquer… Adieu.» A un moment, celui qui s’imaginait être son promis – pourquoi laisser aux femmes la liberté de choisir ? – a suivi Fatima passant d’une Belgique à l’autre, et découvert son secret, précipitant l’histoire vers la tragédie.
Auteur attentif aux faits d’actualité et obsédé du mot juste, Fouad Laroui se voile à peine derrière le personnage de Fatima. «Je ne conçois la littérature qu’engagée, dit-il. Je ne me vois pas écrire un roman sur les états d’âme d’un violoniste moldave amoureux d’une catcheuse péruvienne pendant l’épidémie de grippe espagnole dans les années 1920. Il faut que ce soit actuel et proche de moi comme de mon lecteur idéal.»