L’Ecole Sénégalaise est depuis plusieurs décennies dans une crise profonde qui compromet dan­ge­­reusement l’avenir du Sénégal. Les grèves cycliques de ses acteurs (élèves, étudiants, enseignants) rythment en permanence le fonctionnement de l’institution. Le pays en est tellement habitué que ces mouvements de contestation sont perçus dans l’ordre normal des choses. Ce qui risque de ne pas l’être, c’est la grève de parents d’élèves du Lycée Scientifique d’Excellence de Diourbel qui peut bel et bien avoir lieu. Et pour cause !
Voici un lycée dont la création a été unanimement saluée. Cette initiative salutaire et hautement stratégique du Président Macky Sall pour donner à la Science la place qu’elle mérite dans notre système éducatif a été un grand coup de génie. L’éta­blissement bien que très jeune (il est à sa deuxième année) fait, à juste raison, la fierté de son promoteur qui y fait souvent référence dans ses discours et messages. Il regroupe des élèves recrutés après un concours hyper sélectif, qui est sans doute l’un des plus rigoureux au Sénégal, toutes catégories confondues. Certes, on ne peut pas affirmer qu’ils sont les meilleurs élèves de troisième du pays, mais ils en font indéniablement partie. L’écrasante majorité d’entre eux ont été premiers de leur classe du CI à la troisième, premiers de leur jury au Bfem. Vivant en internat et étant tous des compétiteurs, ils se consacrent entièrement aux études. Les samedis, dimanches, jours fériés et même pendant les vacances, ils n’ont pratiquement que cours et exercices comme activités. Le drame est que le sacrifice consenti ne se reflète pas sur leurs notes.
Les élèves, les parents avec eux, ont constaté une baisse drastique de leurs moyennes. Ils peinent à avoir 14 voire 11. Ils étaient pourtant habitués à des moyennes générales de 17 voire 18 et plus, qui n’étaient pas du reste de complaisance. Sinon ils n’auraient pas réussi ce concours national qui n’est autorisé qu’aux jeunes brillants élèves des classes de troisième de l’Enseignement moyen. Comment peut-on alors comprendre que des notes très en deçà de la moyenne leur soient attribuées dans des évaluations ? Des parents l’ont dit et nul ne doute que c’est la vérité. Il y a donc problème car les groupes pédagogiques de cet établissement ne constituent pas des classes ordinaires.
De deux choses l’une. Soit l’enseignement n’est pas ce qu’il devrait être, soit l’évaluation même des élèves est à revoir. Je ne peux pas retenir la première hypothèse, les professeurs du lycée n’étant pas des novices.
Là où le bât blesse dans le système éducatif sénégalais, c’est l’insuffisance voire l’absence de for­ma­tion des enseignants en docimologie et autres sciences connexes. Toujours, c’est la faute aux élèves : «leur niveau est bas», «ils sont paresseux», «ils ne travaillent pas assez», etc. En effet, rares, très rares, sont les professeurs qui remettent en cause leur enseignement. Pourtant, l’évaluation explicite des élèves est l’auto-évaluation implicite des prestations du professeur. Si un grand nombre d’apprenants se retrouvent avec des notes faibles, il incombe à l’enseignant d’y remédier en reprenant certains aspects de ses cours, si ce n’est l’intégralité de certains cours-mêmes, en tenant compte des leçons tirées de l’évaluation.
Cela mis en évidence, il convient de préciser que ce lycée Scientifique ne doit pas être un lycée de plus, mais un lycée qui apporte un plus. En acceptant d’envoyer leurs enfants dans l’établissement, les parents s’attendaient à ce qu’ils bénéficient d’une formation meilleure que celle qu’ils recevaient dans leurs écoles d’origine, qui avaient tout de même un certain prestige. Ils s’attendaient à ce qu’ils soient mieux suivis et mieux formés dans un cadre et des conditions de vie adéquats. Au lieu de tout cela, ils ont trouvé que leurs enfants autrefois pleins de vie, enthousiastes et sûrs d’eux-mêmes sont devenus apathiques et sceptiques. Ils sont désorientés et stressés en permanence avec toutes les conséquences néfastes sur leur santé et leur mental.
La pression subie par l’école est trop forte. Rien que le nom qu’on lui a donné «Lycée Scientifique d’Excellence» est lourd et difficile à porter. Autre source de pression, la Miss Scien­ces de 2016-2017.
L’établissement a en effet, dès sa première année d’existence, damé le pion à tous ses célèbres concurrents et devanciers. Dès lors, tout le monde attend des merveilles de ce lycée au Concours général. Cela pèse lourdement sur les frêles épaules des élèves, de leurs professeurs et de leur administration alors que l’établissement devra être présent non pas pour prouver quoi que ce soit, mais pour apprendre compte tenu de sa jeunesse et de son inexpérience contrairement aux autres.
Malgré cette forte attente et tout l’espoir suscité par le lycée, l’Etat n’y a paradoxalement pas mis les moyens qu’il faut. Il n’y a pas non plus de motivation digne de ce nom pour le corps enseignant, et aucune pour le personnel d’encadrement. Ils ont tous le mérite d’avoir accepté le sacerdoce et donnent le meilleur d’eux-mêmes. Cependant, il est indubitable que les acteurs de l’établissement ont besoin d’être accompagnés sur tous les plans. A l’heure des changements de paradigmes dans l’Education, la structure devrait être un établissement-pilote, un laboratoire des tendances modernes de la pédagogie, en vogue dans les plus prestigieux lycées du monde. Il faut oser innover pour aller de l’avant au lieu de raisonner en fonction de ce qui existe dans des établissements d’excellence sénégalais beaucoup plus anciens.
Tel n’est malheureusement pas le cas pour le moment. La déception est grande du côté des parents comme de celui des élèves. Les impairs de l’année d’ouverture étaient excusables et les parents espéraient qu’un redressement allait s’opérer dans les plus brefs délais. Mais la situation ne semble guère évoluer positivement, loin de là. Des moyens plus substantiels doivent être mis à disposition pour un meilleur pilotage administratif et pédagogique de l’établissement, pour que les fruits soient à la hauteur des fleurs. Le titre de «Miss Sciences» du lycée ne doit pas être l’arbre verdoyant qui cache la forêt qui se rabougrit de jour en jour. Si les choses ne bougent pas, beaucoup d’élèves risquent de ne pas y retourner à la rentrée prochaine. Et les pressions, quelles qu’elles soient ne pousseront pas les parents à sacrifier leurs enfants sur l’autel d’un projet qui certes vaut plus de 1000 monuments de la renaissance mais que l’insuffisance d’engagement réel peut malheureusement transformer en coquille vide. Et cela, il faut l’éviter à tout prix car notre pays ne le mérite pas.
C’est le lieu de saluer le sens élevé de civisme des parents et des personnels du lycée qui cultivent en permanence l’amour de la Patrie chez les pensionnaires. Ils les sensibilisent pour qu’ils ne s’expatrient pas après leur cursus supérieur en leur donnant l’exemple de grands universitaires tels que feu Mamour Sankhé. De son côté, l’Etat doit également jouer sa partition sur ce chapitre et prévoir les dispositions à prendre en ce sens pour que d’autres ne viennent récolter les fruits de notre labeur.
Les uns et les autres, les Sénégalais dans leur ensemble doivent tous méditer l’exemple de l’Amicale des anciens enfants de troupes (Aaet). Ses membres financent la construction d’infrastructures et la dotation en équipements de leur ancienne école, le Prytanée Militaire de Saint-Louis Charles N’Tchoréré, montrant de façon éloquente le soutien que nous devons aux établissements qui ont fait de nous ce que nous sommes devenus. Nous souhaitons qu’il en soit ainsi pour toutes celles et tous ceux qui passeront par ce Lycée d’Excellence qui nous l’espérons, saura se forger un prestige indiscutable.
Ces lignes que vous venez de parcourir résument l’opinion d’un citoyen qui parle en connaissance de cause et qui ne cherche à jeter l’anathème sur personne. Par décence, tout n’a pas été dit. Peut-être que si la situation ne s’améliore pas, les représentants des parents pourront, au moment opportun, porter à la connaissance de l’opinion publique tous les goulots qui plombent l’envol de l’établissement. Le président de la République qui a jeté sur les fonts baptismaux ce fleuron qu’est le Lycée Scientifique d’Excellence de Diourbel, est interpellé.

Babacar NIASSE
Parent d’élève Docteur en Sciences de l’Education et de la Formation babacarniasse75@gmail.com