Il y a quelques semaines, le Président Macky Sall, en séjour à Tanger (Maroc), contemplait avec délectation, de la fenêtre de son hôtel, le bleu azur de l’océan Atlantique. Il ne pouvait pas s’interdire de dire à haute voix : «J’aimerais bien voir des plages et cette mer aussi propres chez nous.» On peut dire qu’il parlait pour tous ses compatriotes, car tout un chacun devrait aimer vivre dans un cadre propre et sain, débarrassé des détritus et autres saletés. C’est ainsi qu’on devrait considérer que tous les Sénégalais peuvent et doivent se sentir concernés par l’appel du chef de l’Etat, pour des opérations régulières de nettoiement des rues des différentes localités du pays. L’annonce avait été réitérée par le Président Sall à l’occasion de son message à la Nation, le 31 décembre 2019. Le Président Macky Sall, pour la mise en œuvre de son nouveau programme gouvernemental «Zéro déchet», voudrait prêcher par l’exemple, en se retroussant les manches, prendre les balais et les râteaux. Il incite ainsi ses concitoyens à se joindre à l’effort collectif pour rendre propres nos environnements urbains. Les collectivités locales et les entreprises et autres citoyens lambda sont attendus. La première édition d’une activité qui se voudrait mensuelle a été organisée le samedi 4 janvier 2020. C’est un début dont on se félicite, mais l’engouement et l’engagement des populations ne sont véritablement pas encore au rendez-vous.

Le citoyen à la rescousse de l’Etat
Il convient de souligner qu’il incombe, au premier chef, à l’Etat et aux collectivités locales d’assurer le travail de nettoiement des rues et de collecte des déchets ménagers. Il reste que nous avons fini depuis belle lurette de constater dans ce pays la carence des institutions publiques à assurer convenablement le ramassage des ordures ménagères. Le système avait été déstructuré depuis le régime du Président Abdou Diouf. Son successeur Abdoulaye Wade s’était essayé en vain à régler la question du ramassage des ordures à Dakar et dans les grandes villes du Sénégal. Finalement, des opérateurs privés sénégalais se sont improvisés collecteurs de déchets ménagers, à la faveur de concessions signées avec l’Etat et/ou certaines mairies de grandes villes. Le ramassage des ordures est ainsi tombé dans une forme d’informel qui a rendu plus précaire ou aléatoire le système. Les nouveaux préposés à cette mission ont pu se renforcer au détriment de leurs interlocuteurs publics. On assistera à des actions de sordides chantages ou de sabotages scandaleux avec des cargaisons de déchets ménagers déversés, au vu et au su de tout le monde, sur des artères principales de la ville de Dakar par exemple. Par ces moyens, ces opérateurs protestaient contre des retards de règlements de factures ou pour contrecarrer la volonté de l’Etat de recourir à une structure internationale spécialisée pour ce type de travaux. De même, les personnels de ces fameux Groupements d’intérêts économiques s’illustrent toujours de la sorte pour manifester des revendications syndicales. On observera également que les éboueurs se mettent eux-mêmes à chercher dans les déchets divers objets pour les revendre à des receleurs ou récupérateurs installés à tous les coins de rues. C’est dire que les ordures ne sortent pas de la ville. Faute d’un système de traitement industriel des ordures, la plupart des objets déposés à la décharge de Mbeubeus sont retournés en ville par des récupérateurs informels. Ainsi, les villes du Sénégal, notamment la capitale Dakar, sont devenues les plus sales du monde. Il faut dire que les élites politiques, administratives et certains milieux d’affaires ont trouvé de l’intérêt dans la désorganisation de ce système. En effet, le secteur est réputé générateur de beaucoup d’argent et toutes sortes de combines s’y développent au détriment des populations ainsi prises en otage. Les populations, dans de nombreux quartiers, finissent par organiser leur propre système de ramassage des ordures. Le phénomène a produit le pullulement de charrettes à traction hippomobile, chargées d’ordures, qu’elles déversent dans d’autres endroits de la ville. Les populations consentent à payer de nombreux charretiers qui se sont transformés en éboueurs occasionnels. Les mêmes charrettes, sans la moindre mesure d’hygiène, allaient se mettre à transporter, à la suite des ordures de toutes sortes, des denrées alimentaires et d’autres produits de consommation courante. Ces charrettes ont plutôt participé à dégrader davantage le cadre de vie.
Pourquoi tout le monde n’est pas sorti pour nettoyer

devant chez soi ?
C’est enfoncer une porte ouverte que de dire que les populations cherchent à assainir leur cadre de vie, le rendre plus propre et hygiénique. La propagande politique voudrait que la première journée de l’opération «Zéro déchet», conduite par le Président Macky Sall, fut un succès éclatant, mais toute personne qui a pris le soin de sillonner la ville de Dakar, durant la journée du samedi 4 janvier 2020, a pu constater que la mayonnaise n’a pas encore bien pris. Il faudrait identifier les causes du relatif manque d’adhésion des populations à cette initiative qui pourtant les concerne toutes. C’est le moyen de juguler et corriger les ratés et surtout de donner plus d’atouts de participation populaire aux éditions prochaines. L’information était-elle bien passée auprès des populations concernées ? On peut le dire, même si le temps entre l’annonce faite par le chef de l’Etat et le démarrage de l’opération n’aurait pas laissé la possibilité de bien sensibiliser et mobiliser du monde. Néanmoins, de nombreux médias chauds ont pu réaliser des éditions spéciales consacrées à cet événement. Personne ne devrait pouvoir dire ne pas être au courant de cette nouvelle initiative de nettoiement des rues des villes. Au demeurant, l’approche a pu pécher quelque part. D’aucuns ont pu avoir le sentiment que l’opération était plus une affaire propre et exclusive des partisans du Président Macky Sall qu’une initiative citoyenne inclusive. La maire de Dakar, Soham Wardini, n’a pas manqué de se mettre au-dessus des coteries politiques pour s’élever à la hauteur de ses responsabilités. Il reste que les responsables politiques du camp présidentiel n’ont en effet mobilisé que leurs militants et sans doute pas tous. Chacun cherchait à avoir quelques images, avec quelques groupes de personnes, à poster sur les réseaux sociaux, pour donner l’air d’avoir été un acteur majeur de cette opération. Aussi, les responsables politiques se sont-ils rués sur les radios et télés pour réagir en direct dans les émissions interactives afin de se signaler. La visibilité est une obsession pour toute personnalité politique, mais il convient de souligner qu’il nous a été donné de voir dans quelques quartiers de Dakar qu’il y avait plus de saupoudrage que de travail effectif sur le terrain.

La foi peut rendre Dakar propre
Nous devons refuser la fatalité de villes sales. Alors, l’Etat gagnerait à jouer sur d’autres leviers sociaux et autres ressorts non moins importants. Certaines autorités religieuses et morales pourraient être mises à contribution pour engager efficacement les populations dans des actions du genre. On sait par exemple que les fidèles de Serigne Modou Kara ont eu à consacrer des efforts importants à cette opération. D’ailleurs, ils ont habitué leur monde à des investissements humains du genre, avec des opérations régulières de nettoiement des cimetières musulmans et catholiques. De tels élans sont à encourager. On pourrait en outre travailler à ce que les prêches au cours des prières musulmanes des vendredis précédant les samedis «Zéro déchets» ou «Cleaning day» servent de tribunes pour inciter les fidèles à s’associer à des actions d’assainissement de leur environnement. De même, les différentes églises chrétiennes et autres obédiences religieuses et morales ont leur partition à jouer.
Les associations de quartier et les réseaux communautaires peuvent servir de canaux appropriés pour amener les populations à s’impliquer davantage et mieux. On se rappelle qu’après avoir fait l’évaluation de l’échec des «opérations Augias», les initiatives «set setal», encouragées par le régime du Président Abdou Diouf, s’appuyaient essentiellement sur le mouvement «navétane» qui constitue un cadre de proximité des populations. Le côté festif n’était pas négligeable non plus et ces actions servaient à joindre l’utile à l’agréable. Les jeunes trouvaient à travers les opérations «set setal» des instants de réjouissance et de divertissement. La mayonnaise avait si bien pris que des artistes importants comme Youssou Ndour avaient sorti des tubes consacrés à cette initiative citoyenne et qui avaient fait fureur dans les années 1990.
Cette question d’actions civiques et citoyennes pour nettoyer les rues dépasse largement les couleurs d’un parti ou d’une famille politique. Elle devrait constituer une cause commune pour toute la Nation. Aucun clivage partisan ne saurait être de mise. Peut-être à la faveur des travaux du «Dialogue national», les leaders politiques pourraient participer ensemble à une édition des opérations «Zéro déchet». De ce fait, chacun pourrait donner le signal à ses partisans que la cause est commune à tous les Sénégalais et transcende les petites accointances. Le Sénégal n’a pas besoin de réinventer une nouvelle formule, car des expériences ont déjà réussi et il faudrait s’en inspirer. C’est d’ailleurs l’occasion pour les autorités de l’Etat de mettre à contribution, dans une opération pareille d’actions citoyennes, des structures de l’Armée nationale ainsi que les élèves des écoles publiques comme privées.

Ne nous jetons pas la pierre !
Au Sénégal, nous avons la fâcheuse tendance à épiloguer sur nos prétendus échecs. On en voit qui, du fait de ce début timide ou timoré des opérations «cleaning day», nous sortiront que les autorités sénégalaises sont incapables de mobiliser leurs propres populations dans des initiatives du genre. A l’opposé, on nous présentera des exemples réussis au Rwanda ou en Gambie du temps de Yahya Jammeh ou au Burkina Faso du temps de Thomas Sankara et on ne sait où encore. Qu’à cela ne tienne ! Il ne saurait être nullement question de douter du degré de patriotisme des Rwandais et autres Gambiens et Burkinabè, mais il est à souligner que la preuve est largement faite que la participation des populations à des opérations de nettoiement des rues dans ces pays et à certaines époques n’était toujours pas si spontanée que cela. En effet, le coefficient de popularité personnelle du leader peut être un facteur déterminant, mais il faut noter que les régimes en place utilisaient des méthodes de coercition et de représailles contre toute personne qui ne participerait pas à des actions communautaires. Est-il besoin de relever qu’au Sénégal personne n’accepterait de nettoyer les rues sous une quelconque contrainte ? Ce pays a choisi un système politique avec ses règles et exigences qui ne sauraient permettre qu’un citoyen, qui préférerait rester sous sa couette plutôt que de sortir nettoyer la rue, puisse être convoqué le lendemain et retenu au poste de police ou soit privé de certains avantages sociaux ou banni et persécuté par les autorités publiques. C’est donc avec un consentement totalement libre que le Sénégalais lambda prendra sa pelle, son balai ou son râteau pour nettoyer, en compagnie de ses voisins, la devanture de sa maison. Pour ce faire, il faudrait en quelque sorte l’inciter positivement, l’amadouer même, grâce à la sensibilisation et à des formes de récompenses décernées aux habitants des quartiers qui se seraient le mieux distingués. On le répète, on ne devrait pas rechigner à solliciter le guide religieux ou l’autorité coutumière pour délivrer des messages incitant à nettoyer les rues.
Pour autant, l’Etat devra pouvoir mettre en place un système rigoureux pour punir tout auteur d’actes de dégradation de l’environnement. La création de brigades de police (?) spécialisées, dédiées à cette mission, est une panacée dont le succès dépendra de l’effectivité des sanctions prévues par la loi. Mais le plus important tiendra à la constance des plus hautes autorités de l’Etat à maintenir cette exigence de politique de propreté publique. Aucun relâchement ne devrait être noté. On ne regrettera jamais assez qu’une initiative comme par exemple «la cérémonie de levée des couleurs», le premier lundi de chaque mois, arrive en quelque sorte à tomber en désuétude. Cet événement lancé par le Président Sall à partir de mai 2013 apparaissait comme un moment de réarmement civique et dire que les écoles commençaient à l’observer systématiquement ! Malheureusement, «la cérémonie de levée des couleurs» n’a pas toujours su résister au temps ou au gré des agendas du chef de l’Etat. Le Président Macky Sall a décidé de la reprendre, à compter de ce lundi 6 janvier 2020 et sans discontinuité. Il compte placer l’année 2020 sous le signe de la citoyenneté. Pourvu que cela dure! Toutes les écoles pourraient par contre lui trouver du temps chaque mois, à défaut d’une fois au début de chaque semaine.