L’éducation réinventée est un livre écrit par Salman Khan, le fondateur de la Khan Academy. La Khan Academy offre des cours en ligne, gratuitement, chaque internaute pouvant choisir ses cours et progresser à son rythme. Il naquit quand Salman Khan entreprit d’aider sa cousine, qui rencontrait des difficultés en mathématiques. Progressive­ment avec le bouche à oreille, la Khan Academy se développa, et aujourd’hui, elle est visitée par des millions d’internautes partout dans le monde. Ce livre avance plusieurs points de vue hétérodoxes sur l’éducation, et en même temps donne des exemples qui démontrent nos difficultés à changer quand les circonstances évoluent.
J’appris du livre que notre système éducatif actuel était hérité de la Prusse, qui l’utilisa pour conditionner sa population et ainsi pouvoir pourvoir à ses besoins de main d’œuvre : une main d’œuvre docile, disciplinée, qui travaillerait à des heures fixes, utiliserait ses bras plutôt que son cerveau. L’école était un moyen d’y parvenir. Cependant, de nos jours, le cerveau importe plus que les bras.
Les tâches répétitives peuvent être automatisées ou le seront dans le futur. Pour faire face «à la concurrence des robots», il faut être capable de penser d’une manière originale, de sortir des sentiers battus. De même, les emplois de demain n’existent pas encore aujourd’hui. Nous serons amenés à changer de travail, et parfois dans des secteurs radicalement différents de celui dans lequel nous évoluons aujourd’hui. Accepter le changement, être flexible, sont des atouts dans le monde très changeant d’aujourd’hui et de demain. L’école nous prépare-t-elle à ce monde ? Je ne le pense pas.
Je connais un ami qui était considéré comme un élève moyen au mieux à l’école. Il se classait dans le bas du classement de fin d’année. Intrinsè­quement, nous savions tous qu’il était brillant, créatif, mais cela ne se reflétait pas dans ses notes. Il était celui qui trouvait des solutions ingénieuses aux problèmes, qui organisait la logistique des sorties. Aujourd’hui, il occupe un poste de responsabilité, où ses talents naturels peuvent s’exprimer. J’aime discuter avec lui, car je sais qu’il exprime des points de vue originaux. Son interlocuteur peut être en désaccord avec son point de vue, mais il le respecte, car original.
Entrons dans une salle de classe. Le professeur est devant ses élèves, leur expliquant un concept. Certains comprennent vite et s’ennuient, d’autres ne comprennent pas et se sentent marginalisés. Ce sont les mêmes élèves qui participent, souvent ceux qui ont compris. Je me rappelle qu’en histoire-géographie, j’étais le plus actif, parce que j’aimais cette matière. En mathématiques, un peu moins, dépendamment des classes – je devins actif quand je m’y améliorai.
Je me rappelle ces moments passés en classe à m’ennuyer, le  monologue du professeur me donnant envie de sortir, de m’évader. Pour autant, je fus du genre à aimer l’école. Cependant, à certains moments, je sentais que l’école tuait ma créativité, ne me permettait pas de m’épanouir. J’aime écrire, avec une prose spontanée, ponctuant mes articles d’anecdotes, narrant des histoires. Mes articles sont la plupart du temps inspirés de mon vécu. Quel cauchemar furent  les devoirs de rédaction ou de dissertation, où je devais écrire avec le pronom «nous», le «je» étant banni.
Aujourd’hui, l’école doit changer. Déjà, les téléphones intelligents réduisent la capacité de se concentrer. Les élèves se lassent vite, pensent davantage à ce qu’ils sont en train de rater sur les réseaux sociaux qu’au cours. Pour les impliquer, l’enseignement doit devenir actif plutôt que passif, le professeur ne peut plus se permettre de verser dans le monologue, le dialogue doit devenir la norme.
En physique, nous apprenons que descendre des escaliers fatigue moins qu’y monter. Un professeur qui veut expliquer le principe de réaction peut amener ses élèves devant un escalier, les faire monter, puis les faire descendre. Ils pourront constater eux-mêmes le principe de réaction -quand nous descendons, la force de réaction va dans le même sens que notre poids, pour cela que c’est moins fatiguant- dont la compréhension s’avérera plus facile.
A l’école, c’est chacun pour soi. Les choses ne marchent pas tel dans une entreprise, où pour atteindre les objectifs, les employés doivent coopérer, s’entraider. Le devoir classique est l’archétype de l’incongruité de l’école avec le monde du travail. Chacun résout les exercices seuls, reçoit sa note. Une entreprise, dont les employés travaillent ainsi, tomberait vite en faillite.
Nous sommes en train de former au Sénégal une génération qui n’est pas prête pour le monde compétitif d’aujourd’hui et de demain. Cette année, la majeure partie de l’année scolaire dans les écoles publiques fut perturbée par les grèves. Ces élèves ont accumulé des lacunes qui se ressentiront face aux élèves qui n’ont jamais connu de grèves. L’examen du baccalauréat peut être abordable, mais l’obtenir ne servira à grand-chose si des compétences fondamentales n’ont pas été acquises – lire, écrire, calculer, bien s’exprimer.
Aussi, l’école sénégalaise doit-elle encourager l’originalité, la créativité,  autoriser l’erreur. Les élèves ont besoin de savoir qu’un 2 sur 20 ne fait pas d’eux des personnes inintelligentes. Elle doit leur apprendre qu’ils peuvent s’améliorer. Elle a aussi besoin de les inciter à la coopération, à résoudre les problèmes ensemble. Ainsi, elle leur permettra de développer certaines compétences fondamentales dans le monde d’aujourd’hui : la flexibilité, la recherche de solution innovante, la prise de risque calculé. Ces aptitudes les aideront à pouvoir évoluer dans n’importe quel secteur, à ne pas avoir peur de changer et surtout à intégrer l’amélioration continue -le kaizen japonais- pour se mettre à jour et éviter l’obsolescence des connaissances, très rapide dans le monde d’aujourd’hui. C’est cette nouvelle école, prônant ces principes, dont le Sénégal a besoin.
P.S : Je détestais l’école coranique, car je n’aimais pas mon Oustaz, prompt à la chicotte et adepte d’une récitation aveugle. Aujourd’hui, je prends plaisir à lire le Coran, à essayer de le comprendre et à l’utiliser dans ma vie de tous les jours. Ce matin, j’imaginais combien de personnes ont abandonné leurs études, non qu’elles n’étaient pas brillantes ou qu’elles étaient paresseuses, mais tout simplement parce que la façon dont les cours leur étaient dispensés ne leur convenait pas.
Moussa SYLLA
moussasylla.com