Finalement, les élections législatives du 30 juillet 2017 se sont déroulées globalement dans la paix et la sérénité et la coalition Bby au pouvoir savoure sa victoire, une victoire sans gloire au regard des conditions dans lesquelles s’est déroulé le scrutin, du nombre très relatif d’électeurs ayant pu exercer leur droit de vote, ainsi que du pourcentage des suffrages récoltés, que cache mal une majorité de sièges obtenue à la faveur d’un mode de scrutin majoritaire inique et dépassé, le fameux «raw gaddu».
Malgré un calme relatif, les Sénégalais sont néanmoins frustrés, non seulement en raison des nombreux dysfonctionnements et imperfections notés dans l’organisation de ces élections et des dérives survenues dans certaines localités, de l’intérieur comme de l’extérieur du pays, mais aussi des contestations survenues à la suite de la proclamation des résultats, avec des risques de violences.
Certes, en dépit des graves manquements que constitue la non-inscription de bon nombre d’électeurs sur les registres des bureaux de vote, imputée pour une large part à la question controversée du vote autorisé par récépissé, les électeurs, dans leur immense majorité, se sont mobilisés pour accomplir leur devoir civique et c’est ce qui explique sans doute le fort taux de participation à ce scrutin. Pour autant, s’il est établi que des inscriptions douteuses ont été faites sur les listes électorales et que des centaines de milliers de Sénégalais titulaires de récépissés et de cartes d’identité biométriques ou documents d’immatriculation n’ont pas pu voter, en particulier des jeunes dont on peut penser qu’ils ne sont pas acquis au pouvoir en place, parce que laissés pour compte par le système éducatif et les politiques d’emploi, il y a lieu d’être enclin à douter de la crédibilité du scrutin.
En ce qui concerne ce vote par récépissé, nous persistons cependant à penser qu’il n’y avait pas d’autre solution pouvant permettre à tous les citoyens régulièrement inscrits au nouveau fichier électoral d’exercer leur droit de vote le 30 juillet 2017. Malheureusement, contrairement à ce qui avait été suggéré par notre coalition et d’autres composantes de la Société civile, le pouvoir n’a pas voulu -ou n’a pas osé- «prendre la main» pour engager une concertation directe avec les acteurs politiques, afin de calmer les tensions et d’apaiser les inquiétudes, mais a attendu jusqu’au 24 juillet pour demander au Conseil constitutionnel son avis sur la question, ce qui ne lui laissait pas le temps de convoquer dûment l’Assemblée nationale, en procédure d’urgence, pour modifier les dispositions du Code électoral y afférentes. Aussi, est-ce dans la procédure suivie et le temps mis pour l’enclencher que réside le problème, et non dans le fond ou la justesse de la solution préconisée. Et, en cela, les principes élémentaires de l’Etat de droit n’ont pas été respectés et le gouvernement n’a pas été à la hauteur de la tâche.
Par ailleurs, le jour du scrutin, l’indigence des conditions de vote, l’impréparation dans la mise en place et la sécurisation de bureaux de vote additionnels, lesquelles résultaient du nombre élevé de listes de candidats et d’électeurs, l’insuffisance du matériel électoral, la non-mise à disposition des bulletins de quelques coalitions dans certains bureaux, l’absence de mécanismes rigoureux de supervision et de contrôle du déroulement des opérations de vote, y compris par des observateurs démunis, voire complaisants, ainsi que l’irresponsabilité de plénipotentiaires et mandataires corrompus, ont fini de discréditer totalement les organes en charge des élections, d’autant que c’est la première fois que le pays connaît des dysfonctionnements d’une telle ampleur lors d’élections nationales. En particulier, le ministère en charge de l’organisation a fait preuve, tout au long du processus, d’une incompétence et d’une légèreté manifestes, parce qu’ayant simplement placé ses actions sous le signe de la servilité. Ce fiasco organisationnel ne permettra pas de racheter l’image d’une administration dont les erreurs, approximations, confusions de rôles, manipulations et justifications, ont choqué plus d’un Sénégalais, depuis les premiers enrôlements en novembre 2016 jusqu’à ces derniers «couacs», en passant par la mise à disposition sélective, puis tardive, des cartes d’électeur et le déficit de transparence et de communication. L’administration chargée des élections a donc failli et, quoi qu’en disent les thuriféraires du régime, l’on ne pourra pas faire l’économie d’une évaluation de ce scrutin, dont il faudra bien tirer les conclusions qui s’imposent, comme dans toute démocratie majeure, aussi bien au niveau de l’Etat qu’au niveau des différents acteurs.
Quant à nous autres des entités dites «indépendantes», nous faisons l’amère expérience que, malheureusement, les citoyens sont toujours à la merci de partis, se focalisant exclusivement sur la politique politicienne, n’inscrivant pas l’intérêt général au cœur de leur action et faisant très peu cas des contenus programmatiques. Aussi, les critiques récurrentes des populations à l’encontre de ces politiciens professionnels sont-elles loin d’être conséquentes, puisque, lorsqu’il s’agit de voter, ce sont les partis politiques traditionnels qui récoltent leurs suffrages. Dans leur grande majorité, les citoyens n’arrivent pas encore à adhérer à une nouvelle vision de la politique fondée sur l’éthique, la bonne gouvernance et la satisfaction en priorité de leurs besoins essentiels, mais continuent, au contraire, à faire un arbitrage en faveur de petits gains immédiats, en subissant ou en se faisant complices des achats de conscience et en votant ainsi contre leurs propres intérêts. Du fait de l’utilisation des ressources publiques par la classe dirigeante afin de se maintenir au pouvoir, la culture démocratique dans notre pays a encore beaucoup de chemin à parcourir pour rompre définitivement avec le clientélisme.
Mais il reste que les discours pertinents ou généreux, les bonnes idées et les plaidoyers dans le cadre d’une offre politique novatrice ne suffisent pas, de même que les descentes sur le terrain uniquement à l’occasion de campagnes électorales. Si les mouvements citoyens et entités indépendantes veulent peser à l’avenir sur des élections, voire prendre un jour le pouvoir, ils devront entreprendre le maillage complet du territoire national et rester en contact permanent avec les populations, en engageant les actions soutenues d’éducation à la citoyenneté et de mobilisation sociale que tous les pouvoirs qui se sont succédé jusqu’ici n’ont pas eu intérêt à entreprendre. Il s’agira, notamment, de rappeler inlassablement à l’attention des électeurs que la corruption électorale en fait de véritables victimes, car c’est leur volonté qui est viciée et que la contrepartie immédiate qu’ils tirent de cette corruption est le fruit de l’aliénation de leur liberté et de leur citoyenneté.
En définitive, le fait d’avoir finalement corrigé quelques défaillances et levé certaines contraintes, le jour du scrutin, n’aura pas suffi à assurer la sérénité du processus. Le pays continue de retenir son souffle, car les cas de fraude soulevés, ajoutés aux alertes relatives à des manipulations sur les résultats, autorisent à s’interroger sur la réalité d’élections transparentes, libres et démocratiques. Cette situation retient toute l’attention en cette période de contentieux post-électoral et, si les acteurs politiques n’y prennent garde et ne font pas preuve d’esprit de responsabilité et d’oubli de soi, le climat déjà délétère pourrait engendrer des troubles et des violences qui constitueraient un recul pour la démocratie sénégalaise.
Les deux camps qui se font face aujourd’hui savent bien qu’à l’issue du contentieux actuel, il faudra bien s’asseoir autour d’une table, avec toutes les parties prenantes, pour poser les bases consensuelles d’un cadre juridique rationalisé et d’un processus apaisé en matière électorale, en vue des prochaines échéances.
Nous n’aurons de cesse de le répéter, la sauvegarde de la paix civile dans notre pays passe par une réelle volonté de dialogue et d’apaisement du climat politique, qui devrait être guidée par les seuls intérêts fondamentaux nationaux et non par des ambitions personnelles ou partisanes, se traduisant, d’une part, par la recherche d’un maintien au pouvoir par tous les moyens et, d’autre part, par une logique de simple alternance politicienne.
Dieu préserve le Sénégal des démons du sectarisme et de l’intransigeance !
Mohamed SALL SAO
Membre fondateur de la Plateforme «Avenir,
Senegaal bi nu bëgg»
Tête de liste de la Coalition «Assemblée bi nu bëgg»