Constructions et installations anarchiques ont quitté Poste Thiaroye. L’assaut des autorités municipales et préfectorales n’y a rien laissé. Les regards colériques et les contestations n’ont rien pu contre des bulldozers, qui ont tout emporté dans leur passage. Au final, le troisième déguerpissement de Poste Thiaroye, située dans la banlieue de Dakar, a élargi le champ de vision des hommes et le périmètre de circulation des conducteurs. Jusqu’à quand ?

L’horizon est clair, la route dégarnie. Les véhicules en profitent pour circuler librement et à vive allure. Les bulldozers ont remis de l’ordre au rond-point Poste Thiaroye, transformé depuis quelques années, en un garage clandestin ou en un petit marché. Ce qui rendait difficile tout mouvement. L’opération de désencombrement des croisements suit sa feuille de route, après Pikine, hier c’était au tour de cette allée incontournable d’être désengorgée pour plus de fluidité et moins d’anarchie sur la voie publique. Ceux qui n’ont pas l’habitude de traverser la route qui mène vers l’autoroute à péage risquent de se perdre. L’endroit a changé de visage, d’ambiance et de couleur. Les vieilles carcasses, les tables et les cantines qui empêchaient les gens de vaquer à leurs occupations ont dégagé pour permettre désormais aux yeux de voyager de bout en bout. Aucun «clando» n’est visible et pourtant, ils étaient une cinquantaine à rétrécir la voie qui permet l’accès aux quartiers environnants. L’inter­vention conjointe de la mairie de Tivaouane-Diacksao et de la Préfecture de Pikine a tout dévasté, les objets qui occupaient irrégulièrement l’espace public sont entassés dans un coin loin du goudron. Des tas constitués de coussins, de tables, de barres de fer et de portes de véhicules particuliers.
Le sol noirci par l’huile de moteur supporte les pas des mécaniciens désœuvrés mais pas découragés. Les manœuvres des grands véhicules si prompts à ravager ne leur empêchent pas d’user de leur vitesse d’exécution pour sauver quelques bagages si minimes qu’ils soient. Ils prennent et jettent derrière pour les récupérer ensuite. Des tentatives de sauvetage, qui ont commencé jeudi soir dès la réception de la sommation, qui annonçait le déguerpissement du lendemain. Avant la prière du crépuscule, les garagistes, aidés par des collaborateurs, essa­yaient tant bien que mal de déplacer les matériels les plus précieux avant l’arrivée du dévastateur tant craint. Plus d’une dizaine, les occupants de cet espace non autorisé, marteaux, clés à la main serraient, desserraient et emportaient les pièces et les caisses. Il est difficile, voire impossible de tout sauver. Les nombreuses an­nées les ont sans doute rendus aussi naïfs. Les autorités n’ont pas tardé à mettre leurs menaces à exécution.
Hier, jour de vérité, les bulldozers n’ont pas perdu du temps pour émouvoir puis chasser ceux qui n’y ont pas cru. Moteurs vrombissants, pelles qui soulèvent la poussière, ils font le job : tout dégager. Dépourvus de masques, les spectateurs se servent de leurs habits pour se prémunir. L’écho de l’entrechoc des différentes installations viole les tympans. Ils déroulent sans pitié ni inquiétude devant les autorités policières et municipales. Les machines font le tour et ne laissent rien sur leur passage même les petites tables des dames vendeuses de bananes ou de café ne sont pas épargnées. Ils opèrent sans distinction devant des yeux de mépris. Oui des regards hagards. Des visages crispés et tristes. Des mots durs et déplacés émanent des bouches des victimes de l’opération. «Au Sénégal, on se fout de nous .On ne parvient pas à travailler avec un Etat qui a peur des autres pays. On ira tous en Libye», crie un jeune homme de grande taille, tee-shirt noirci par l’huile de moteur. La colère est la chose la mieux partagée chez les déguerpis, qui regrettent l’intervention brusque des autorités.

Des déguerpis amers
Pas besoin de les écouter pour avoir une idée de leur mécontentement. Fallait observer les visages sévères et suivre les actes et déplacements pleins d’énergie. L’opération leur crève le cœur. La plupart sont restés immobiles, les yeux fixés sur les tas auxquels figurent surement leurs affaires. Leurs bras croisés montrent à quel point, ils sont impuissants face à une telle situation. Ils n’ont que leurs bouches pour extérioriser leurs ressentiments les plus profonds. «Cette opération est une violation de nos droits. On ne peut pas nous empêcher de travailler. C’est un abus de pouvoir. Et c’est inquiétant pour un pays qui veut se développer. Nous avons reçu la sommation jeudi et les bulldozers ont tout détruit. J’invite les autorités à savoir raison garder. Des jeunes qui tentent d’entreprendre sont freinés de cette manière. C’est triste», se désole Pape Gora, un mécanicien, le visage sombre, une croix à la main droite. Il n’est pas le seul à fustiger l’intervention inopinée des autorités. Seynabou est dans la même situation. Au moins, elle a pu prendre les devants et mettre sa table à bananes hors la zone concernée. Elle a trouvé refuge à côté d’un long mur. Malgré le déplacement, elle sourit. D’éton­nement ou de réjouissance ? «Heureusement, j’ai pu sauver ma table et mes produits. Je savais que les autorités allaient nous déguerpir. J’avais toujours un œil vigilant de l’autre côté pour pouvoir me tirer à temps. Je déplore quand même le temps qu’on nous a accordé. Nous sommes des mères de famille et nous avons des familles à nourrir. Il faut que nos dirigeants comprennent cela car personne ne peut résister à l’Etat», soutient la dame, les yeux rivés sur sa table, foulard bien noué sur sa tête. Les gérants de gargote ont aussi subi les mouvements destructeurs des bulldozers. Aucun de leurs cantines n’est désormais sur place. La plupart y sont depuis belle lurette.
Contraints de quitter leur champ économique, ils se lamentent et s’interrogent. «Je suis ici depuis plus de vingt ans. Je m’y suis fait des amis, des fils et des clients. Heureusement que j’avais déjà épuisé ma marmite de bouillie avant leur arrivée. Et je me demande où est-ce que je vais mettre ma table demain. Sinon demander à la mairie d’être plus clémente», suggère Mère Ndèye en montrant du doigt un agent municipal. Maillot noir, jean bleu, Mbaye observe les opérations. Certes, il est touché en tant que chauffeur de «clando», mais il reconnait avoir occupé la voie publique de manière irrégulière : «C’est vrai nous n’avons pas le droit de nous installer n’importe où. Il faut qu’on respecte la loi. Ce que je ne parviens à comprendre, c’est la courte durée entre la sommation et l’exécution. Il fallait nous donner plus de temps.»

Leur malheur fait le bonheur des riverains
L’axe est à cheval entre Thiaroye Sur-mer, Guinaw Rails et Lansar. Les habitants de ces trois quartiers sont directement concernés par cette intervention. La plupart souffraient de la présence des mécaniciens, garagistes et autres petits commerçants. Beaucoup d’entre eux ont étaient présents hier. Et ils sont heureux de la fin du voisinage qui, selon eux, n’avait aucun intérêt. «C’est bien car nous ne parvenions pas à vivre comme il faut, surtout avec les nombreux et irréguliers garages. Maintenant, nous pourrons vaquer librement à nos occupations sans avoir de mal à se frayer un chemin. Le travail des autorités est remarquable. Et nous voulons que cela continue pour le bien de toute la population de Tivaouane-Dia­cksao. La différence est grande entre hier et aujourd’hui. Je suis là depuis des années et je n’ai jamais vu Poste Thiaroye comme ça», se félicite Abdou, un habitant de Thiaroye Sur-mer. Sa position est similaire à celle de tant d’autres, qui ont longtemps souhaité le départ des occupants des lieux. Chose faite, ils ap­plaudissent, saluent et demandent même plus. «Ils ont fini avec les garagistes qui ont occupé et pollué Poste Thiaroye, il faut que les autorités continuent les opérations jusqu’à Diack­sao, Diamaguène et même Sicap Mbao. Il faut que toute la banlieue en bénéficie. Elles sont vraiment utiles pour le bien-être de la population. Pikine peut bel et bien être comme les allées du Centenaire. Je félicite Fatou Bintou Ndiaye, maire de la commune et le préfet de Pikine. Je pense qu’ils n’oublieront pas ceux qui longent le mur du camp Thiaroye», espère une dame du nom de Absa.
Du fait de la proximité avec les garages clandestins, les habitants du quartier Lansar ne sont pas à l’abri des agressions. Elles sont souvent notées à l’entrée de Poste Thiaroye par des malfrats aidés dans leurs manœuvres par l’obscurité. Pour eux, le présent déguerpissement va faire reculer le phénomène. «Pour moi les autorités ont tardé à réagir. Depuis des années, la voie publique et une partie du quartier sont occupées de manière irrégulière. Ce qui a favorisé les agressions la nuit. A certaines heures, je n’osais pas traverser cette route, nous faisions tous le tour pour ne pas tomber dans le piège des assaillants», affirme Serigne Moussa, sur un ton sérieux, cure-dent entre les dents. Ce soulagement n’est pas propre à ce trentenaire. D’autres se réjouissent aussi du désengorgement de Poste Thiaroye. Une opération dont la zone avait besoin pour la sécurité mais aussi pour l’hygiène. «Les garages et le petit marché menaçaient notre sécurité mais aussi notre santé. Les nombreux véhicules ont pollué les quartiers environnants. Nous avons beaucoup souffert de la cohabitation. Nous évitions de nous habiller en blanc car les nombreux véhicules en panne ont contribué au noircissement du sol. Nous sommes vraiment contents de l’intervention du gouvernement. Il a bien joué son rôle», s’enthousiasme Daba, une étudiante habillée en rose qui vient juste de sortir d’un bus de la ligne 70. Alors qu’elle apprécie l’opération, Arame quant à elle est moins euphorique. Elle a une préoccupation particulière. Les véhicules particuliers, qui assurent la liaison Poste Thiaroye- Pikine Tally Boumack ont quitté les lieux. «Le déguerpissement ? Nous qui avons l’habitude de venir ici tous les jours, nous ne pouvons qu’apprécier. C’est une excellente chose. Mon inquiétude est ailleurs. Les clandos, qui desservaient Thiaroye et Pikine, ne sont plus là. Et ça risque de porter préjudice à un bon nombre de gens qui ne doivent pas être privés de moyens de transport. Ce serait mieux si le plan était plus réfléchi.»

Les autorités se défendent et menacent
Elles sont pointées du doigt par les victimes du ravage de ce vendredi. Les déguerpis ont déversé leur bile sur elles. La plupart d’entre eux disent ne pas comprendre les motivations de l’intervention mais aussi la sommation «tardive». Face à ces accusations, elles ont tenu à apporter des éclaircissements. «Nous les avons avertis à temps. 3 mois avant les opérations. Nous leur avons dit que nous allons intervenir dès la réception de la sommation. C’est ce qui a été fait. Nous ne pouvons pas tolérer que des gens occupent la voie publique de façon anarchique avec tous les risques que cela comporte. Rien ne peut nous empêcher de faire notre travail comme il faut. Les opérations de nettoyage sont importantes, elles permettent d’élargir les routes. Nous allons mettre en place un comité de suivi pour contrôler la situation. Nous prévoyons de trouver une zone de recasement pour leur permettre de continuer leurs activités», déclare Mamadou Sène, conseiller municipal à Tivaouane Diacksao. Il est appuyé par le préfet du département de Pikine, qui assure que le désengorgement pour combattre l’occupation anarchique de l’espace public va se poursuivre. Il révèle aussi que les déguerpis ne seront pas indemnisés, car ils n’avaient aucune autorisation.