L’or ne brille pas pour les populations des villages de Sabodala. Malgré les importantes quantités du métal aurifère extraites de leur sous-sol par Sabodala gold operations (Sgo), une société de droit sénégalais, filiale de Teranga gold corporation, une société canadienne, elles profitent à peine des retombées et subissent en retour des impacts négatifs au plan environnemental, sanitaire et social. Dans cette zone traditionnellement appelée Bélédougou où des villages comme Faloumbou et son hameau Dambankhoto, entre autres, ont fait l’objet de déplacement physique et économique, le système de compensation a peu pris en compte les dommages et pertes réellement subis par les populations.

A Faloumbou, Dambankhoto et environs, on a oublié la quiétude d’autre fois. Sur ces terres de l’extrême orient sénégalais, dans la région de Kédougou, l’environnement biophysique a tout autant été bouleversé. Un autre monde a surgi. De jour comme de nuit, des véhicules de tous genres traversent la zone dans un vrombissement qui fait trembler jusqu’au toit de chaume des cases. Les sols s’envolent en nuées, l’air se charge de poussière, les eaux deviennent un réceptacle de toutes les pollutions, la biodiversité végétale et animale se meurt. Sabodala gold operations (Sgo), une société de droit sénégalais, filiale de Teranga gold corporation, cherche l’or dans la zone et la poussière que laissent leurs camions n’est rien face aux impacts destructeurs qui ont transformé le quotidien des populations en enfer.
En fait, tout change et même quand vous allez à Dambankhoto, vous ne trouverez plus ce hameau à sa place. Il a fait l’objet d’un déplacement physique pour se situer à presqu’un kilomètre plus loin. D’autres localités comme Faloumbou, Sabodala, Madina Bransan et Bransan ont ainsi subi «un déplacement économique». Menacés par la pollution que va causer «l’aménagement du deuxième bassin de stockage des eaux résiduelles chargées en polluants chimiques dangereux (mercure, cyanure…) appelés Tailing storage facility (Tsf)», selon le rapport d’étude sur les compensations dans les zones d’exploitation minière du Réseau parlementaire pour la bonne gouvernance des ressources minérales (Rgm), ces quatre villages ont été expropriés de leurs espaces de culture et de pâturage.
Des mesures de compensation auraient dû s’ensuivre, mais elles ne viennent jamais. Le rapport d’étude du Rgm sur «les compensations dans les zones d’exploitation minière au bénéfice des communautés locales im­pactées» détaille le projet.
Selon ce document, «l’occupation de l’emprise du bassin Tsf2 a été autorisée par l’Etat par décret n°2013-902 du 1er juillet 2013. Dans la convention minière de Sabodala de 2015, l’Etat s’est engagé à donner une suite à la demande de rattachement de l’emprise du bassin Tsf2 à la concession minière de Sabodala. Ce bassin de résidus n°2 est aménagé dans une zone appelée localement Dokhorokondi. Le bassin de résidus à lui seul nécessitera une occupation du Dokhorokondi sur 311 ha, mais l’assiette foncière qui sera retirée sera de 431 ha. Ce projet a été lancé en 2011 et son étude d’impact a débuté en 2012».
Le Dokhorokondi, dont l’Etat a ainsi autorisé la «coloni­sation», est un espace vital pour les populations. Il abrite des cours d’eau saisonniers, des forêts, des terres en jachère matures, des pâturages et rythme l’existence de quatre villages, dont Fa­loumbou et son hameau Dam­bankhoto.
Outre les ressources communautaires (pâturage, exploitation forestière, cours d’eau, etc.), dix-huit ménages vivent dans ces localités. Propriétaires de ces terres en jachère, ils accueillent aussi des éleveurs transhumants, venant des régions du nord. Aujourd’hui, un malheur les guette. Outre la réduction de la superficie totale des terres agricoles disponibles dans les villages, ils vont perdre des ressources fourragères et des points d’eau pour le bétail, sans compter la disparition de produits forestiers naturels récoltés pour le combustible, la construction, l’artisanat, la nourriture, les médicaments et autres utilisations.
Ces ravages auraient pu être atténués, mais les mesures compensatrices annoncées n’ont jamais été à la hauteur. Selon un document du Rgm, «Sgo a initié (dans une perspective de mitigation durable des impacts du Tsf2) une approche de politique d’acquisition foncière dont la philosophie et la démarche sont inspirées par la législation sénégalaise et les normes internationales, en particulier la Norme de performance 5 de la Société financière internationale (Sfi)» (voir encadré). Dans ce cadre, les négociations avec les communautés ont abouti à la signature, en novembre 2012, d’un Accord collectif sur les mesures de compensation pour les impacts. Ce document, signé par tous les membres du Forum de négociation, dont Le Quotidien a pu avoir copie, décrit les engagements et les actions entreprises par Sgo pour compenser et rétablir les moyens de subsistance des personnes, des ménages et des communautés touchés par le projet Tsf2. Mais ce qui aurait dû être fait ne l’a pas été.

Mesures de compensation
Pour compenser les pertes de terres à l’endroit des 18 ménages et celles à caractère communautaire pour l’ensemble des 4 villages et du hameau, Sgo s’était engagée à appliquer deux séries de mesures en vue de réaliser «une compensation totale et équitable». Une première série de mesures était destinée aux ménages affectés et une seconde aux villages.
Les ménages se sont ainsi vu proposer un «accès à des terres de remplacement d’une superficie égale, avec un potentiel productif égal et un emplacement acceptable par rapport à la terre en jachère perdue, qui seront identifiées et attribuées par le Conseil municipal de Sabodala». Ils devaient ensuite avoir droit à «une allocation financière unique de 200 mille francs Cfa (soit 20 francs Cfa le m²) par ha de terre en jachère touchée». La dernière mesure consistait à allouer «une contribution financière unique aux 18 ménages pour aider à la mise en production de nouvelles terres en jachère de remplacement, y compris 60 mille francs Cfa par ha affecté pour contribuer au coût du défrichement, sur la base des tarifs locaux en vigueur, un montant supplémentaire de 100 mille francs Cfa par ménage affecté pour couvrir le coût d’autres améliorations (par exemple un abri et/ou des intrants agricoles et des équipements qui peuvent contribuer à une utilisation plus rentable des terres de remplacement ou d’autres terres disponibles)».
Sur la base de cet accord, chacun des quatre villages concernés a été invité à choisir une zone adéquate de remplacement. La zone de Bangouraya a ainsi accueilli Faloumbou et, comme mesure d’accompagnement, la Sgo devait y aménager des terres de culture pour les populations. Sabodala s’est retrouvée à Tonokho. Et devant l’accès difficile, il a été prévu de doter chacun des six ménages éligibles de cette localité d’une charrette et d’un âne, mais aussi d’aménager des points bas pour faciliter la traversée.
Le total des compensations financières était ainsi estimé à 32 millions 840 mille francs Cfa, en plus d’une aide pour préparer la terre (9 millions 852 mille francs) et une aide supplémentaire pour les améliorations et les intrants (1 million 700 mille francs Cfa). Le protocole d’accord de novembre 2012 a été ainsi évalué à 44 millions 392 mille francs Cfa.

Les mesures pour les villages
Sept ans après, beaucoup reste à faire. Les pertes de terres consécutives à l’affectation du Tsf2 vont au-delà de la diminution des terres agricoles, des ressources fourragères, des points d’eau pour le bétail, des produits forestiers naturels, etc. Sabodala gold operations s’était donc engagée à la restauration des moyens de subsistance en mettant en place, entre autres, un site de maraîchage en saison sèche et en créant des routes accessibles en toutes saisons à partir de Faloumbou et Sabodala vers Kéniaba. La société devait aussi assister chaque village concerné par la mise en place d’un verger. Ces derniers devaient être divisés en parcelles familiales allant jusqu’à 1 ha par ménage, comprendre au moins un point d’eau pour l’arrosage des jeunes arbres et fournir cinq arbres fruitiers de qualité à chaque ménage.
C’était le temps des promesses. Elles ont été vaines. Aujourd’hui, les communautés impactées égrènent les préjudices subis et ruminent leur dépit. M. B avoue que les populations «reçoivent très peu de retombées de l’exploitation aurifère alors qu’elles subissent la pollution. Elles n’ont plus de terres de culture et l’orpaillage leur est interdit. Les parcelles familiales qui ont été promises ne sont pas aménagées. Les montants qui ont été alloués pour les impenses agricoles sont très faibles. On vit dans une précarité indescriptible. Nous n’avons plus de revenus agricoles, ni de revenus tirés de la vente des produits forestiers et les denrées coûtent cher dans la localité».
Le rapport du Rgm confirme la faiblesse de l’enveloppe financière allouée. «Dans le cas du Tsf2, note-t-il, si on fait le rapport entre la somme totale versée et la superficie, on se rend compte que le mètre carré est compensé à moins de 15 francs Cfa, même s’il y a des terres de remplacement qui sont proposées».
On pourrait crier au scandale. Au Comité sénégalais des droits de l’Homme (Csdh), on n’en pense pas moins. «En matière de compensation au Sénégal, ce qui est frappant, c’est le caractère obsolète des lois. Nous avons des lois qui datent de 1974…», souligne M. Thadée A. Seck, juriste au Csdh. Selon lui, l’entreprise fixe les barèmes et vient à la table de négociations avec ses bases de référence. Les populations, elles, ne sont pas à l’avance informées des opportunités qui s’offrent à elles. Géné­ralement prises au dépourvu, elles entrent dans des négociations perdues d’avance.
Quand on parcourt Sabodala, on se rend tout de même compte que la Sgo a laissé quelques maigres empreintes. Deux périmètres maraîchers équipés de points d’eau, avec des grillages métalliques, trônent à Faloumbou et à Dambankhoto. Deux réalisations au profit des femmes qui sont d’autant plus remarquables que le reste des engagements pris demeurent dans les tiroirs.
«Il faut que la société respecte les engagements pris à la lettre. Toutes les promesses n’ont pas été respectées et on est en train de négocier d’autres projets. Après le Dokorokhondi, on a été sur le projet de Golouma, un autre village qui a été spolié de ses terres de culture. Actuellement, on est sur le projet de recasement des villages de Sabodala et Médina Sabodala à Niakafiri», affirme Dité Diallo, conseiller municipal, ayant participé au forum de négociation du Tsf2.
Les textes sont par contre clairs. Selon l’article 103 du Code minier de 2016, le titulaire d’un titre minier est tenu d’indemniser l’Etat ou toute personne physique ou morale pour les dommages et préjudices matériels causés. Ce texte innove également en obligeant les titulaires des titres miniers à respecter et à protéger les droits humains dans les zones affectées par les opérations minières (article 94). Ce qui n’est pas toujours le cas dans les zones d’exploitation aurifère de Kédougou.
* Les initiales utilisées dans ce texte ont été empruntées pour protéger nos interlocuteurs.