Erigée en région en 2002, Matam, située à quelque 600 km de Dakar, ploie sous le poids de plusieurs contraintes, qui empêchent son décollage économique malgré ses potentialités. Dans le domaine de la santé, elle a encore un grand retard à résorber même si elle dispose de 2 hôpitaux de niveau 2 pour une population estimée à 706 035 habitants.

Dans le Nord, l’écosystème est écrasé par la rudesse du climat, qui ne cesse de se détériorer. Sans émouvoir les gens de cette contrée, suffisamment occupés à résoudre leur situation existentielle : l’accès à une santé de qualité. En ce samedi 13 juillet, le soleil, niché au zénith, est impitoyable. Il écrase tout sur son passage et pousse l’horizon à dessiner sous nos yeux embués un paysage aride et doré et les mirages aux allures d’une rivière remplie d’eau. Entre Matam, Ranérou, Thilogne et Ourosogui, l’accès à un système de santé de pointe est encore un mirage même si des avancées significatives ont été notées comme l’accès à la Couverture maladie universelle, l’existence de certaines spécialisations, qui évitent aux patients d’être référés à la capitale.
Erigé en département en 2002, Ranérou, situé au cœur du Ferlo, n’a pas réussi à gommer son accent rural. Ses ruelles sablonneuses sont occupées par une colonie de jeunes, sans perspectives professionnelles, qui dévissent tranquillement à une dizaine de mètres du centre de santé, situé à l’extrémité de cette ville, qui a du mal aussi à décoller sur le plan économique. Dr Alioune Ndour, médecin-chef de Ranérou, veille sur cette infrastructure médicale, presque abandonnée à son sort un peu tristounet. Les murs sont recouverts d’une couche de peinture de couleur beige, blanche ou verte. Dans son étroit bureau, doté d’un mobilier sommaire, Dr Ndour allume la climatisation pour essayer d’atténuer la suffocante chaleur, qui règne au centre de santé Thierno Mouhamadou Seydou Ba, qui est plombé par un déficit d’équipements et de personnel. Son discours ressemble à un plaidoyer : «Ranérou est un district particulier polarisant quelque quinze postes de santé sur une superficie de 15 mille km2 avec des postes distants. Ce qui pose le problème d’accessibilité des structures.» Lui et son adjoint, qui dispose d’un simple contrat de prestation signé avec le Comité de développement sanitaire de Ranérou, sont des généralistes, qui tentent l’impossible pour assurer la santé des populations dans la zone du Ferlo. Le bloc opératoire n’est pas fonctionnel à cause de l’absence d’anesthésistes. Bref, il n’y a pas de spécialités, juste une médecine générale. Les conséquences de cette situation entrainent des évacuations coûteuses et des réfèrements vers Ourossogui, située à 80 km de la ville. Ici, le seul poste de santé qui dispose d’une ambulance en bon état est celui de Mbam, à cause de son enclavement routier et est dépourvu de réseau téléphonique. «Lors des évacuations, il arrive en cours de route qu’une ambulance tombe en panne. Il y a même eu des cas de décès dans ces circonstances», confie-t-on. Depuis 2007, Ranérou n’a pas reçu d’ambulances. Dr Ndour qui poursuit plaide pour son centre de santé : «Nous invitons les autorités à faire une discrimination positive en faveur du département pour qu’il bénéficie des ambulances, mais surtout à travailler pour le désenclavement de la zone.»
Aujourd’hui, le matériel du centre de santé de Ranérou commence à devenir obsolète. Excepté le bloc opératoire où le matériel est flambant neuf et attend d’être utilisé. Au niveau du labo et dans les services de médecine générale, tout est à recycler. Alors que les installations de la maternité commencent à devenir vétustes. C’est un mal qui ronge aussi le district sanitaire de Thilogne dépourvu quasiment de matériels. C’est une question d’urgence : l’unique appareil d’échographie du centre de santé est trop vieux, il y a un besoin pressant de matériels de stérilisation, de frigos homologués pour la gestion des vaccins et de sages-femmes et d’infirmiers. Quid de la logistique pour assurer le déplacement des infirmiers ? Ils ne disposent pas de moyens de locomotion pour effectuer leurs déplacements. Ces manquements pourraient être résorbés par une bonne application du Projet d’établissement mis en place pour renouveler les équipements et agrandir les capacités d’accueil des infrastructures.
Médecin-chef du district de Thilogne, qui polarise quatorze postes de santé, Dr Mamadou Chérifou Ba, trouvé dans son bureau, téléphone à la main, coordonne le travail de terrain des postes de santé dont la plupart sont construits et équipés par l’Etat. Celui de Gourel Oumar Ly, situé à la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, réalisé par le Puma (Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers), n’est pas encore fonctionnel à cause du retard lié à l’affectation d’un personnel qualifié. Cette situation jure avec les réalités d’Ourossogui et de Matam dont les responsables ne boudent pas leur satisfecit. Malgré la demande qui ne cesse de croître. «Les structures grandissent avec une demande de plus en plus accrue, le renouvellement du matériel s’impose pour agrandir les capacités d’accueil et l’offre de service», conseille le directeur de l’Hôpital de Matam.
Au Centre hospitalier régional d’Ourossogui (Chros), construit en 1973 et fonctionnel depuis 1977, les discussions des patients se mêlent aux directives des médecins, qui multiplient les va-et-vient entre les salles de consultation et leurs bureaux. Très jovial, pas du tout introverti, le directeur du Chros est d’humeur taquine nonobstant le poids des urgences qui pèse sur ses épaules. Dr Mamadou Ndiaye salue «une nette amélioration dans son établissement depuis son arrivée car nous avons pu combler beaucoup de manquements, avec l’affectation de spécialistes qui n’existaient pas jusqu’en 2017». Il y a désormais un médecin Orl, un cardiologue, un radiologue et une clinique de diabète et quelques techniciens supérieurs de santé. Cette nouvelle offre fait que les populations ne sont plus obligées de parcourir des centaines de kilomètres pour trouver des spécialistes. Sauf des néphrologues. En plus, l’établissement dispose désormais d’un forage pour l’approvisionnement en eau. C’est loin l’époque quand il fallait acheter des bouteilles d’eau pour le bloc opératoire si l’appui des agents du camp militaire, qui approvisionnaient l’hôpital avec leur citerne, faisait défaut. Ça se conjugue désormais au passé. Dr Ndiaye renseigne «que toutes leurs actions sont centralisées au niveau de l’Etat qui met des moyens et donne des subventions sans lesquelles, l’hôpital serait à l’arrêt».

Dr Bocar Sow, Dg hôpital Matam.

Absence de pédiatres et de néphrologues
Le Chros est pris d’assaut chaque jour par des centaines de patients, étouffés par la chaleur. Centre de référence dans la région, il n’offre pas encore de services aux enfants à cause de l’absence de pédiatres. Récemment l’Etat avait affecté un pédiatre à Ourossogui, il n’a pas accepté de rester. Malgré tout, l’administration de la structure reste optimiste : «un appel à candidatures a été lancé par l’Etat, on pense que la situation sera bientôt réglée», rassure le directeur du Chros.
A l’hôpital, c’est la même revendication. En attendant, un stagiaire assure le service. Cette situation expliquerait-elle le taux de mortalité infantile de l’ordre de 55%0, c’est-à-dire le plus élevé du Sénégal, selon des chiffres de l’Enquête démographique et de Santé continue publiés en 2017. La mortalité néonatale (33%0) et la mortalité infanto-juvénile (71%0) figurent parmi les plus élevés. En plus, la région de Matam est ainsi caractérisée par un niveau d’atteinte des indicateurs socio-sanitaires en deçà des moyennes nationales. Ce qui fait d’elle une région d’interventions prioritaires de santé publique. Selon toujours les chiffres de l’Eds-C en 2017, le taux de prévalence du Vih Sida est de 0.5%. Dans ce contexte, il faut signaler que la banque de sang régionale n’est pas fonctionnelle, car les ressources humaines de qualité ne sont pas légion. Pendant ce temps, les équipements sont confiés au laboratoire de l’hôpital de Matam, situé à 10 km du premier centre hospitalier régional de la zone. Construit en 2012 et fonctionnel depuis 2014, l’Hôpital de niveau 2 de Matam est régenté depuis son ouverture par Dr Bocar Sow, un homme de taille moyenne, teint noir, la cinquantaine. «Matam est donc l’une des régions où l’on trouve rarement deux structures sanitaires de niveau 2. Il ne doit pas y avoir de compétition entre les deux structures. Le mieux que ces structures puissent faire c’est de se compléter et de coordonner à travers leurs offres de santé. Après cinq ans d’activités, l’hôpital de Matam avance sur la bonne voie, mais les difficultés ne manquent pas», détaille le gestionnaire.
Aujourd’hui, il devient vital d’assurer le fonctionnement du bloc opératoire, qui ne dispose que d’un seul technicien en anesthésie et réanimation. En plus, le radiologue est «absent à cause d’une formation, mais on reste très optimiste pour son retour à la maison». En tout cas, il y a des urgences à régler pour assurer la plénitude de son fonctionnement. «L’urgence à Matam, c’est de permettre à l’Hôpital régional d’avoir un technicien anesthésiste et en néphrologie car l’unité de dialyse a besoin de personnel pour son bon fonctionnement», insiste Dr Sow.
En plus, la précarité de certains contractuels n’est pas une garantie pour les maintenir aussi longtemps dans les structures sanitaires. «Dans les régions de l’intérieur, les médecins sont souvent des prestataires. Et dès qu’une offre plus alléchante se présente, ils désertent et laissent un vide au détriment des populations. Ce sont souvent des spécialistes recrutés par l’hôpital ou par un comité de développement sanitaire s’il s’agit des centres de santé», explique-t-on. L’absence de mesures d’accompagnement incitatives pousse les toubibs à privilégier leur carrière dans la capitale où il y a plus d’opportunités socio-professionnelles. Un mal qui ronge la santé sénégalaise.

Fonctionnement des hôpitaux  : L’appel aux collectivités
C’est un appel aux enfants du terroir et aux collectivités pour appuyer le fonctionnement des établissements publics de santé. Le Conseil départemental a la responsabilité de venir en assistance aux structures sanitaires, la santé étant une compétence transférée à travers ses fonds de dotation. Et les responsables des hôpitaux se plaignent des difficultés liées à leur accès. Selon eux, les mairies et les conseils départementaux mettent souvent du carburant ou des médicaments à la disposition des hôpitaux, qui ont plus besoin des autres lignes et surtout les finances pour combler les déficits budgétaires. Aujourd’hui, l’ambition des dirigeants du Centre hospitalier régional d’Ourossogui est de rénover l’établissement pour s’offrir de nouveaux services et spécialités pour rendre davantage accueillant l’hôpital afin de le transformer en véritable hub hospitalier sous-régional.