Le temps est loin, il faut le constater, où les Lions, engagés en compétitions diverses, se plaignaient des dures réalités, de leur infériorité athlétique, du caractère impitoyable des affrontements, de la férocité dans l’engagement et de l’ambition démesurée des adversaires bantous ou maghrébins. Le temps est loin où Victor Diagne, élégant technicien, footballeur remarquable, concluait ainsi l’échec (0-1) du Sénégal devant le Cameroun en quarts de finale de la Can 92, dans les colonnes d’Afrique Football : «Si c’est cela le football, on ne gagnera jamais…» Qu’avait-il voulu dire ?
Les Lions d’aujourd’hui, ceux du Mondial 2018, moins «joueurs de balle» que leurs aînés, moins talentueux, moins inspirés, souvent moins dominateurs aisés de la balle, ont intégré à bon niveau la plupart des données du jeu dit moderne. Ils sont forts athlétiquement, résistants, ardents, savent se qualifier dans les compétitions majeures, taclent aussi allègrement par derrière que leurs collègues étrangers, savent crocher dans le textile pour freiner les bêtes lancées à toute vapeur, n’ignorent plus rien de la maçonnerie armée, ont des éclairs dans les yeux à faire fuir des talibans. En résumé, le football mondial a produit pour nous des «monstres». Koulibaly, Sabaly, Sané, Gassama, Kouyaté, Gana, etc. sont plutôt des gladiateurs. Des compétiteurs que le monde du foot prend désormais au sérieux. Quand ils sauront vraiment bien jouer au football, ils seront même peut-être imbattables.
Le problème est que, sur les 11 à 14 Lions utilisés par Aliou Cissé lors de ce Mondial 2018, il n’y en a pas plus de la moitié dont la musette technico-tactique et cérébro-visionnaire ait excité l’œil borgne des foules. Même si nos Lions bénéficient de l’aide compensatrice attribuée aux rocs, il est indispensable d’admettre que dans le jeu, son fond et ses contours, il nous manque ce supplément d’âme qui ne s’achète pas chez le Guinéen du coin. Ce quelque chose pourrait s’appeler culture ou empreinte génétique et tient dans l’art du geste adapté, dans la respiration, la circulation de balle, l’attaque placée, dans la sûreté de soi et avec le cuir. Dans la certitude. Hélas ! Le Sénégalais, nos équipes nationales, nos clubs, ne savent plus jouer au foot. Qu’avons-nous fait de l’identité sénégalaise qui avait enfanté les Matar Niang, Christophe Sagna, Guèye Sène, Moussa Diop Quenum, Boy Bandit, Léopold Diop, Baba Touré, Lamine et Abdoulaye Sagna, Victor Diagne, etc. ? Pour ne citer que ces milieux de terrain, reculés ou avancés sur le pré. Notre cœur d’ancien combattant nous pousse à rêver d’un football meilleur si ces esthètes avaient pu avoir 20 ou 25 ans aujourd’hui.
Lamine Dieng, l’antithèse de Cissé, nous interpellait quelque part récemment. «Le beau jeu est le seul moyen d’obtenir des résultats durables.» Avant d’ajouter, cruel : «Sadio Mané méritait d’être mieux accompagné avec des joueurs qui savent jouer au football : des créateurs.» Ces fameux créateurs découragés de notre football par des pseudo-éducateurs qui leur préfèrent depuis des décennies des «bucherons» auto-proclamés «milieux modernes». Ah ! Si seulement Modric était Sénégalais… pour servir convenablement Sadio et les autres de devant.
Plongée dans une très longue nuit, la Dtn, avec la complicité de sa tutelle, n’a toujours pas compris qu’il nous faut notre propre modèle de footballeur. Comme Amadou Ba, le ministre des Finances, devrait comprendre qu’il nous faut notre propre modèle économique. L’émergence en général est à ce prix. Sinon, nous continuerons de contempler de loin ces fastes du football mondial où les autres étalent indéfiniment leurs tuniques royales.
Elimane KANE
Journaliste
ciresamba@gmail.com