(Envoyée spéciale) – Le temps semble s’être arrêté à Tivaouane après l’annonce du décès de Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy «Al Makhtoum» à l’âge de 92 ans. Reportage dans la cité religieuse.

Dans cette commune de la région de Thiès, le ciel, la terre et les fidèles sont en deuil. Serigne Cheikh Ahmed Tidiane Sy «Al Makhtoum» n’est plus et Tivaouane pleure son 5e khalife. Des milliers de pèlerins convergent vers cette commune de 43 000 âmes créée en 1904. Rongés par la tristesse, ils ont pris d’assaut la maison du défunt khalife, là où il a été enterré dans la nuit du 15 au 16 mars 2016. Ailleurs à la zawiya Serigne Babacar Sy, le regard vide, la mine serrée, les fidèles, attristés, avancent à petits pas. La zone des mosquées vomit du monde, hommes, femmes et enfants affluant sur ce lieu devenu subitement petit. Tivaouane soupire et respire au rythme de la tristesse. «Serigne Cheikh est parti, notre guide s’en est allé», répète dans un réflexe pavlovien cette dame tout de blanc vêtue et envahie par la tristesse. Les artères deviennent de plus en plus étroites, à ce rythme, elles risquent d’exploser. De partout on les voit venir, vêtus de leurs plus beaux habits et munis, dans leur écrasante majorité, d’un chapelet à la main. Bonnets rouges, bonnets blancs, l’éventail est large et couvre presque toutes les têtes. Assises à même le sable, femmes et jeunes filles, têtes enturbannées, reposent désespérément leurs mains dans le creux de leurs pagnes. Elles regardent devant elles, mais semblent ne rien voir. Le temps est lourd et dur à la fois. Comme pour participer à cet élan de ferveur, le soleil refuse de briller d’en haut pour réchauffer cette terre torturée par un déferlement progressif de fidèles. De partout au Sénégal, les cars viennent déverser du monde à Tivaouane. «Nous venons de Saint-Louis pour venir faire nos Ziarras à ce saint homme qui repose désormais ici à Tivaouane», confie une femme en compagnie de son mari. De leur côté, les membres du Comité d’organisation au service de Khalifa Ababacar Sy (Coskas) s’activent pour permettre aux fidèles de venir faire leurs Ziarras. Plus la nuit tombe, plus les fidèles arrivent et circulent grâce à des moyens de transport aussi nombreux que variés. Des véhicules aux charrettes en passant par les Taxis clandos ou alors les motos «Jakarta».

Tivaouane enterre son Cheikh  
Dans la chaleur d’une nuit pénible, Tivaouane la sainte a pleuré. Et si on devait résumer ce qui s’est passé, on dirait simplement que «dans cette ville, les gens ont souffert dans leur chair». C’est à 1h 30 dans la nuit du 15 au 16 mars que la douleur a atteint son paroxysme, lorsqu’un «Al Makhtoum» était en train d’être conduit dans sa dernière demeure  dans sa résidence sise au quartier Médina Corniche. Les fidèles escaladaient le mur de clôture pour assister coûte que coûte aux funérailles. «Nous avions trompé la vigilance des gens, pour qu’ils se rassemblent à la Zawiya Serigne Babacar Sy, afin qu’on enterre le khalife dans la sobriété», confiera un membre proche de la famille Sy. Toutefois, la stratégie fera flop. Puisque, les chaînes de radio avaient déjà vendu la mèche. Scotchés à leurs postes, les talibés accourent sur le lieu de l’enterrement. D’autres moins informés sont restés à la Zawiya entendant l’arrivée du cortège funèbre. Au quartier Médina Corniche, c’est la grosse débandade, difficilement gérée par des Gmi à bout de nerfs. Les gens tombent par dizaines, donnant ainsi aux agents de la Croix-rouge un travail herculéen. Il en sera presque ainsi toute la nuit. Les fidèles, perchés sur les murs, les balcons et sur les terrasses, ont tenu à assister à l’événement. Les larmes ont perlé avec abondance et des cris de détresse se sont fait entendre tout le long de cette aube. Après cela, dans une ferveur inouïe, les fidèles ont assisté à la prière du «Fadjr». Les coqs ont chanté et le jour a paru, mais les fidèles tidianes n’ont pas fermé l’œil de la nuit. Le lendemain, les cernes autour des yeux rougis, portés par des silhouettes fatiguées et attristées, ils ont pullulé dans Tivaouane. A l’image des jeunes Mor Diaw, Samba Sow, qui se réjouissent d’avoir accompagné, dans leur «cœur», le défunt Khalife. Les candidats à cet enterrement ont senti du baume dans le cœur.  La foule a grossi et les gens n’ont cessé de venir de partout du Sénégal. Ni la soif, ni la faim n’ont pu venir à bout de leur ferveur et de leur détermination.